R. A. Jusqu'a présent, Art Brussels n'avait pas de directeur artistique. Comment vous situez vous par rapport à ce que faisait Karen Renders et le comite de sélection ?
K. G. J'ai pour mission de développer l'identité artistique d'Art Brussels et de renforcer ce qui fait sa différence. Au fil des ans, la qualité de la manifestation s'est renforcée : Art Brussels s'est hissée au rang des plus grandes foires européennes et ces progrès sont allés de pair avec l'intérêt international grandissant pour le milieu de l'art bruxellois, ce qui a eu pour conséquence d'attirer des artistes et des galeries, autant belges qu'étrangers. Tout ceci me fait dire que le moment est opportun pour se poser la question du renouvellement du salon. Je suis dans mon rôle quand je me pose des questions sur l'avenir de la foire, d'autant plus que je pense qu'Art Brussels a atteint un seuil critique. Mon objectif principal est de faire progresser la foire d'un point de vue global et de réfléchir à la meilleure façon de présenter les oeuvres. Pour cette édition, j'ai invité les galeries participantes à faire un effort supplémentaire en ce qui concerne la manière dont les oeuvres sont exposées et à ne pas montrer trop d'artistes différents dans un espace restreint. J'ai suggéré qu'elles s'efforcent d'adopter une approche plus proche de celle d'un curateur et qu'elles travaillent ensemble pour harmoniser la présentation et développer une offre cohérente. De plus, je leur ai demandé d'être créatives dans la conception et l'aménagement de leurs stands et d'accrocher les oeuvres de façon plus novatrice, d'aller à l'encontre de cette logique dominante qui prévaut dans les foires et qui mène à la standardisation de l'accrochage et à ce caractère uniforme qui fait que toutes les foires se ressemblent. Ces critères, que je leur demande de prendre en compte, ne constituent pas des obstacles à l'activité commerciale, bien au contraire ; ils devraient, à plus long terme, la faciliter. Les visiteurs réguliers des foires d'art se souviennent toujours du stand exceptionnel, celui qui se démarque autant en termes de contenu, que de la cohérence et de l'originalité de sa présentation. Cela peut sembler une évidence, mais lorsque vous vous occupez en premier lieu de l'art et de la meilleure façon de le mettre en valeur, les acheteurs vous suivent. Contrairement à Karen, j'ai également un droit de vote dans le comité de sélection.
R. A. Plusieurs curateurs comme vous sont devenus directeur de foire, notamment à Artissima à Turin. Qu'est ce que votre expérience dans le commissariat d'exposition apporte à la foire ?
K. G. Ma carrière de commissaire indépendant m'a amenée à travailler dans des environnements et des lieux divers et variés. J'ai collaboré étroitement avec des artistes et j'ai suivi, de manière ininterrompue, les développements dans le milieu de l'art contemporain au niveau international. Forte de cette expérience, je me suis sentie capable d'accepter cette mission pour Art Brussels. J'apprends surtout auprès des artistes car ils m'inspirent, ouvrent mes yeux sur le monde - c'est d'eux qui me viennent les pensées et les idées que je traduis ensuite dans ma pratique curatoriale et qui désormais m'aideront à développer ma vision de l'avenir pour cette foire.
R. A. Comment voyez-vous l'identité d'Art Brussels sur l'échiquier européen ?
K. G. On peut comparer une foire d'art à une roue et comme dit le proverbe, on ne peut pas réinventer la roue… Mais à mon avis, on peut certainement l'améliorer. Et c'est notre tâche. Nous sommes dans une position forte car Bruxelles est la capitale en devenir de l'art en Europe. Plusieurs galeries internationales majeures ont ouvert, ou vont y ouvrir un espace, et cette ville voit un nombre croissant d'artistes internationaux s'y installer - ce qui est pour nous un avantage indéniable. Bruxelles est idéalement située d'un point de vue géographique, nous avons une excellente sélection de galeries avec un mélange idéal de jeunes marchands (qui sont nombreux, éclectiques et très actifs) et des enseignes renommées. La Belgique dispose d'une grande communauté de collectionneurs… autant d'atouts majeurs pour Art Brussels.
R. A. Quels sont les changements ou infléchissements nécessaires que l'on verra dès cette édition ?
K. G. Il y en aura pas mal ! Un des premiers changements a été la décision de repenser l'architecture et l'utilisation de l'espace - un sujet qui est souvent ignoré par les salons. La foire d'art est un lieu intéressant, enrichissant et surprenant, mais pour le visiteur, elle peut être exigeante et épuisante à cause notamment de son architecture standardisée, de sa superficie, de cette succession de cubes blancs, un parcours répétitif et la profusion de ce qu'elle donne à voir. De ce point de vue, l'architecture et la conception de l'espace ont un rôle important à jouer dans la manière dont le visiteur vit la foire. Pour améliorer l'expérience de ces derniers et l'impact visuel d'Art Brussels, nous avons invité Tom Mares et Walt Van Beek, deux jeunes designers belges qui ont été sélectionné parmi les trois candidats qui sont arrivés au bout du processus de sélection, à s'occuper de la scénographie d'Art Brussels. Leur mission est de réinventer les espaces d'accueil et d'échange grâce à une approche créative qui sera plus en accord avec l'esprit artistique de la foire. Cette année, nous avons également une nouvelle identité graphique conçue par Sara de Bondt studio (Londres). Regardez par exemple la conception du catalogue qui prend la forme d'un livre de poche et qui est donc très pratique.
Nous avons organisé un tout nouveau et passionnant programme de conférences (des débats et des rencontres avec les artistes), accompagné d'un programme de performances. THE STAGE (la scène) accueillera ces événements ; il s'agit d'un amphithéâtre conçu sur mesure pour ces activités et qui est situé dans le Hall 3. Ce nouveau lieu est destiné à devenir le noyau de la foire en termes de discussions sur la création actuelle.
Le film et la vidéo sont des formes d'expression artistique qui demandent une considération particulière et qui sont difficiles à prendre en compte dans le cadre d'une foire. Nous avons inauguré, à cet effet, un nouveau projet : THE CINEMA est un espace conçu spécialement à cette expression avec une salle de cinéma confortable et parfaitement adaptée pour permettre aux visiteurs de visionner des vidéos de relativement courte durée sélectionnées parmi l'offre des galeries participantes.
Une autre nouveauté à Art Brussels cette année est le « Curator's Programme » (Programme des commissaires). Nous avons demandé à un certain nombre de commissaires internationaux de visiter la foire, mais également de faire le tour des institutions, collections et artistes à Bruxelles. Alors qu'il est vrai que la première motivation des galeries participantes est d'ordre commercial, la présence des commissaires d'exposition est nécessaire et elle représente une valeur ajoutée en vue des expositions potentielles qui peuvent être proposées aux artistes représentés par les galeries participantes.
Finalement, un de mes objectifs à plus long terme pour Art Brussels est le renforcement des liens entre la foire et la ville : je souhaite soutenir les structures existantes en profitant de la visibilité dont jouit une foire internationale. Au-delà de ses espaces privés ou institutionnels, la ville de Bruxelles possède un certain nombre de lieux exceptionnellement dynamiques gérés par les artistes eux-mêmes. Ces espaces, qui sont à but non lucratif, sont une partie intégrante de la scène artistique bruxelloise, une plate-forme importante pour les artistes, un lieu de rendez-vous pour les amateurs d'art et un élément clef de notre paysage artistique. J'ai donné carte blanche à certains de ces espaces - Komplot, Établissement d'en face, Maison Grégoire, La Loge, (SIC) et l'Institut du Carton - pour présenter un projet à Art Brussels qui va injecter une dimension non commerciale à la foire.
R. A. La proximité d'Art Cologne et du Gallery Weekend de Berlin est-elle un problème ? Est-ce difficile de rallier des galeries allemandes ?
K. G. Ce n'est pas si problématique que cela, surtout pour les collectionneurs internationaux. Après tout, Bruxelles n'est qu'à une heure de train de Cologne, il est donc facile de visiter les deux foires et chacune possède sa propre spécificité. Il est évident que les galeries allemandes sont très présentes à Cologne, alors que nous avons un contingent plus important de galeries françaises ou du Benelux. Nous avons cinq galeries allemandes et, ce qui est assez étonnant, plusieurs galeries internationales seront présentes aux deux foires. Citons Deweer (Otegem, Belgique), Kalfayan (Athènes), Krinzinger (Vienne), Gebr. Lehmann (Berlin), Martos (New York), Marlborough (Londres), Max Mayer (Düsseldorf), Nächst St. Stephan (Vienne), Rotwand (Zürich), Société (Berlin), Suzanne Tarasiève (Paris), Axel Vervoordt (Anvers) et Zink (Berlin). Quatre des quinze galeries allemandes présentes à Art Brussels 2013 participent aux deux foires. Les autres onze galeries allemandes ont choisi spécifiquement d'être présentes à Bruxelles pour explorer le marché étranger. Ces dernières comptent sur l'attrait de notre foire pour les collectionneurs belges, hollandais, britanniques et surtout français. Le problème se pose plutôt pour les collectionneurs régionaux qui devront faire le choix entre les deux foires.
Propos recueillis par Roxana Azimi
Art Brussels, du 18 au 21 avril, Brussels Expo (Heysel), Palais 1 & 3, Place de Belgique, 1, Bruxelles, www.artbrussels.be