Le Quotidien de l'Art

Bernard Buffet revient par la grande porte au Mamvp

Bernard Buffet revient par la grande porte au Mamvp
Bernard Buffet, Horreur de la guerre, L’Ange de la guerre, 1954, 265 x 685 cm, huile sur toile, collection fonds de dotation Bernard Buffet, Paris. © Fonds de dotation Bernard Buffet. © ADAGP, Paris 2016.

En une centaine de toiles, la rétrospective de l’artiste français Bernard Buffet (1928-1999) organisée au musée d’art moderne de la Ville de Paris tente de réhabiliter une figure aussi encensée dans les années 1950 qu’elle fut honnie dans les décennies suivantes.

Une exposition Bernard Buffet ? Voilà encore dix ans, l’idée même aurait provoqué haut-le-cœur et branle-bas de combat dans le landerneau muséal. C’est que l’artiste populaire des années 1950 a connu une grandeur et déchéance telle que la matière est encore hautement inflammable. La critique des années 1960-1970 avait tôt fait de clouer au pilori un personnage aimant vivre sur un grand pied, et plus encore sa peinture à l’expressivité outrée. « C’était la figure de l’artiste enrichi pour salle d’attente de dentiste », se souvient Fabrice Hergott, directeur du musée d’art moderne de la Ville de Paris (Mamvp).

Même pour ses anciens appuis, comme Pierre Bergé, son compagnon durant huit ans, la messe était dite : après les années 1950, point de salut. « Bernard était sûr de son génie. Il ne savait pas que l’art allait se faire sans lui et qu’un jour il serait isolé », écrira son ancien amant dans Les jours s’en vont et je demeure.

L’exposition que lui consacre le Mamvp a pour mérite d’opérer un tri à partir du legs Girardin et du fonds de dotation de feu le marchand Maurice Garnier, accompagné de prêts choisis. Histoire d’offrir une lecture complète et objective, en évitant les scories, bouquets de fleurs et figures de clown à gogo, dont le peintre avait inondé le marché.

Disons-le tout de go, malgré une indéniable persistance rétinienne, tout Buffet n’est pas regardable. Certaines séries, comme « les Folles » ou « les Mariées mortuaires » de la fin, continuent à nous révulser. Même si certaines œuvres nous hérissent toujours le poil, il serait hasardeux de tout jeter aux orties. Lorsque Buffet apparaît sur la scène française aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, il s’arroge le rôle qu’occupait avant lui Francis Gruber, un misérabilisme teinté d’humanisme. Il pose vite son vocabulaire et son graphisme tout en arête, s’inspire de Courbet, Soutine et Rouault. Il se représente en adolescent efflanqué, nu comme un ver, le sexe en berne, ne cachant rien de ses penchants homosexuels. Ce qui en 1947 pouvait sembler assez audacieux. Après sa rencontre avec le mannequin Annabel Schwob, ses toiles se parsèment de corps féminins toutes jambes écartées. Crucifixions, désastres de la guerre, cirque, enfer de Dante, images mortuaires finales, les cycles se suivent avec un bonheur versatile. Le grotesque prend de plus en plus le dessus, le trait se noircit, la danse devient de plus en plus macabre. Pour Fabrice Hergott, ces tableaux finaux agissent comme des « bombes contre le bon goût ». Maître en bad painting, l’artiste allemand Martin Kippenberger ne s’y est pas trompé. Et c’est sans doute dans cette ironie que se situe la clé de la réhabilitation dont Buffet fait l’objet auprès de certains artistes, mais aussi de jeunes galeristes comme Sébastien Janssen, de Sorry We’re Closed (Bruxelles) qui l’avait exposé en solo show à la Foire de Bâle en 2012. « Avec le temps, Buffet est passé de la haine à la ringardisation puis, avec le passage des générations, il est devenu un artiste mythique, un outsider, un personnage romanesque jusqu’à son suicide théâtral », confie-t-il. Signe que le monde actuel de l’art est bien moins dogmatique qu’il ne le fut voilà quelques décennies, l’exposition Buffet a lieu en même temps que celle de Carl Andre au département de l’ARC (animation, recherche, confrontation) du même musée. Choc des titans, rencontre des contraires que seule une grande ouverture d’esprit saurait autoriser…

BERNARD BUFFET, RÉTROSPECTIVE, jusqu’au 26 février 2017, musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00,

http://www.mam.paris.fr

Article issu de l'édition N°1155