Il fallait un commissaire, et un bon, pour jouer du Petit Palais sans se laisser écraser par le cadre. Lorenzo Benedetti a endossé ce rôle avec brio en rassemblant une quarantaine d’œuvres, de la Boîte en valise de Duchamp à une stalactite en action de Vivien Roubaud (In Situ-Fabienne Leclerc, Paris). Bien plus que de résumer près d’un siècle de création ou d’évoquer les derniers états d’âme du marché, elles résonnent en beauté avec l’esprit du lieu. Une créature toute discrète accueille le visiteur : penché sur la vitre de l’entrée, l’autoportrait méditatif du Mexicain Gonzalo Lebrija (Laurent Godin, Paris) brille de son éclat d’argent, mais annonce que ce n’est pas forcément le lieu où chercher le spectacle ou le divertissement. Tout comme la fantomatique statue équestre de Guillaume Leblon (Jocelyn Wolff, Paris), qui a perdu son cavalier mais aucunement sa superbe. Pour le commissaire, il s’agit tout autant « de refléter l’histoire de ce musée, né avec l’histoire de l’art moderne, des expositions universelles et des salons, que de jouer sur les échelles mais aussi d’évoquer l’idée de précarité, ce musée ayant à l’origine été conçu comme éphémère ». Une architecture instable de Manfred Pernice (Galerie Neu, Berlin) le rappelle, comme la piscine gonflable de Jimmie Durham (Michel Rein, Paris/Bruxelles), qui se moque gentiment du solennel jardin intérieur. Jusqu’à la porte pivotante posée là par Oscar Tuazon (Chantal Crousel, Paris), qui reprend les prototypes du musée moderne et fait entrer dans un salon à l’atmosphère presque surréaliste. D’un côté, une digression magnifique de Benoît Maire (Thomas Bernard / Cortex Athletico, Paris), dont les objets étranges se posent sur un paysage de socles blancs : vitrine de laiton où dialoguent une pierre de cristal et un cube de verre, tête de Socrate entourée d’outils à l’usage inconnu… David Altmejd (Xavier Hufkens, Bruxelles) enfonce (un peu trop) le clou du bizarre, mais l’œil peut venir se reposer et se perdre dans les surfaces miroitantes installées au sol par Adrian Schiess (Galerie nächst St. Stephan Rosemarie Schwarzwälder, Vienne) et qui, à travers leurs reflets et irradiations magnifient encore
– si cela est possible – le lumineux hall qui accueille le pan principal de l’exposition.
Il ne faut pourtant pas oublier de glisser ensuite vers le jardin central, qui vient se refléter dans deux têtes de métal miroitant de Not Vital (Thaddaeus Ropac, Paris, Salzbourg). Entre bananiers et palmiers, Noël Dolla (Galerie Bernard Ceysson, Paris) est discrètement intervenu sur le petit étang, déposant sur l’eau d’abstraits nénuphars d’or qui flottent en constellation, et quelques humbles guirlandes qui se rient des harnachements d’or des arcades. Tout à côté, dans la salle des vases, Wang Du (Laurent Godin, Paris) joue lui aussi de l’infiltration en glissant trois de ses têtes surréalistes sculptées dans le plâtre au cœur des objets d’Art nouveau. Enfin, les collections se prêtent, elles aussi, à l’exercice. Parmi les quelques sculptures XIXe siècle, Damien Hirst (White Cube, Londres, Hongkong) a glissé un ange de marbre dont il dévoile en écorché l’anatomie. Mais c’est surtout le surhomme d’Étienne Béothy (Galerie Le Minotaure, Paris) qui attire l’œil. Effilé comme une fusée, en équilibre sur une planète sans nom, il date de 1928 mais pourrait être notre contemporain. À mille lieues des étals chic et choc de Frieze Masters à Londres, telle est la grâce de cette exposition, de brouiller avec intelligence les âges pour faire émerger l’essentiel. À l’instar de cet énorme ballon orange, amené ici par Mandla Reuter (Francesca Minini, Milan, et Neue Alte Brücke, Francfort), et d’ordinaire utilisé pour faire remonter à la surface les objets d’art retrouvés au fond des mers.
FIAC, On Site - Petit Palais, jusqu’au 23 octobre, Avenue Winston Churchill, 75008 Paris, http://www.fiac.com/paris/la-fiac/onsite/