Juste quelqu’un de bien. Quelqu’un qui aimait les artistes, surtout les plus jeunes et qui défendait la scène française. Avec constance. Sans manières ni chichi. Sans poussée d’ego ni goût de la mondanité. La collection de Michel Fedoroff, qui s’est éteint en août 2014, sera dispersée le 29 novembre chez Artcurial. Au menu de cet « ensemble de passionné amoureux », selon l’expert Karim Hoss, 170 œuvres estimées de 2 à 3 millions d’euros.
Fils d’un émigré russe chauffeur de taxi, élevé à Courbevoie, ce self-made-man avait peu de chances de tomber dans le chaudron. Et pourtant, à l’âge de 15 ans, Michel Fedoroff s’achète ses deux premiers livres d’art, sur Pissarro et Van Gogh. « J’avais lu la vie de Van Gogh qui m’avait remué, et je trouvais anormal qu’il meure dans la misère, nous avait-il raconté un an avant sa mort. Il y avait une injustice totale. Je m’étais dit que je créerai des ateliers pour les jeunes ». Il imagine alors réformer le commerce de l’art, songe à un hypermarché de l’art et à la location d’œuvres dans les bureaux, aux corners dans les grands magasins… « Mais ça ne marche pas. Il faut que l’art reste une passion, sinon on entre dans les travers du commercial. Dans l’art, je ne voulais pas de compromission », avait-il ajouté. Trois galeristes l’inspireront dans sa voie : Anne de Villepoix, Catherine Issert et Hervé Loevenbruck. De fil en aiguille, il découvre Jean-Pierre Raynaud, croise Arman, César et Raymond Hains. Ces Nouveaux Réalistes, il ne commence à les acheter vraiment que dans les années 1990, une fois installé à Monaco.
Pour bâtir sa collection, il ne s’est pas laissé enfermer dans une ligne. Il a aussi bien acheté une toile de Roman Opalka, estimée aujourd’hui de 400 000 à 600 000 euros, un bombage de Martin Barré, évalué à 150 000-250 000 euros, que de jeunes artistes alors inconnus. Tout juste manifestait-il un certain tropisme pour les créateurs français tels que Bruno Peinado, dont Artcurial propose le mythique Bibendum noir pour 40 000 à 60 000 euros,
Franck Scurti, Dewar & Gicquel ou Florian Pugnaire et David Raffini. Michel Fedoroff avait surtout une tendresse toute particulière pour les jeunes pousses de l’école d’art de la Villa Arson, à Nice, qu’il aidait en produisant des pièces d’une taille qui aurait effarouché plus d’un amateur traditionnel. Pour qu’ils puissent créer en toute tranquillité, il leur offrait aussi l’usage d’un atelier à Bargemon, dans le Var. « Michel revendait des œuvres qui avaient un marché, des Manzoni ou des Lichtenstein, pour acheter des pièces d’artistes qui n’en avaient pas », se souvient Hervé Loevenbruck. L’homme qui préférait l’étiquette d’amateur à celle de collectionneur avait construit à Bargemon des cabanes pour accueillir une partie de sa collection d’art contemporain. Il aimait conduire ses invités d’une cabane à une autre, attiser leur curiosité en racontant des instants de vie, la petite histoire derrière chaque pièce. Ainsi a-t-il acheté une installation complète de Pascal Pinaud qu’il avait vue en 2005 à l’exposition la « Force de l’art » au Grand Palais, juste parce qu’il voulait un tableau figurant dans l’ensemble volontairement encagé par l’artiste. Un original, comme on n’en fait plus.
COLLECTION MICHEL FEDOROFF, le 29 novembre à 19 heures, Artcurial, 7 Rond-Point des Champs-Élysées Marcel-Dassault, 75008 Paris, tél. 01 42 99 20 20, www.artcurial.com/