Le Quotidien de l'Art

Prix Ricard 2016 : Drames à froid

Prix Ricard 2016 : Drames à froid
Vue de l’exposition du 18e Prix Fondation d’entreprise Ricard. Photo : Aurelien Mole. Will Benedict, Sick Selflessness, 2012, gouache sur carton mousse, métal, toile brûlée, aluminium, verre, ruban adhésif,
110 x 90 cm. Courtesy galerie Balice & Hertling.
Anne Imhof, Loge (Overture), 2016, structure en contreplaqué, plâtre coloré et mousse, 80 x 239 x 100 cm. Courtesy Galerie
Buchholz Storage.
Anne Imhof, Angst I-II-III, 2016, laque, aluminium, acier, 25 x 200 x 5 cm, pièces uniques. Courtesy Galerie Isabella Bortolozzi.

Quelles sont les lignes de force qui se dégagent du Prix Fondation d’entreprise Ricard cette année ? Capacité à imprégner les structures abstraites d’empathie et de subjectivité affective, et focus sur une génération de cinéastes qui s’attaquent à la propagande du réel. Le lauréat sera annoncé vendredi, 21 octobre, dans le cadre du Bal Jaune.

Quelle cartographie de l’art dessine le Prix d’entreprise Ricard 2016, dont l’exposition s’intitule « Paris » ? D’abord, l’invitation à une artiste, Isabelle Cornaro, plutôt qu’à un curateur pour en assurer le commissariat, signale l’hybridation de plus en plus répandue de ces rôles. Ensuite, suggérant une réponse subtile à l’édition de l’année dernière, très marquée par les stéréotypes de genre (les garçons, les technosciences et les voitures), cette édition assure un nécessaire rééquilibrage, plus paritaire et attentif au rôle important du féminisme ces dernières années. Pourtant, là n’est pas le sujet de l’exposition, plus portée sur la structure formelle des œuvres. Isabelle Cornaro signale avoir réuni des artistes ayant un rapport à l’image, prise dans une tension entre son appropriation en tant que matériau (déjà inscrit dans une médiatisation) et sa dimension plus narrative (où le montage déconstruit l’autorité du discours). « L’intégration de figures, de drame, voire de pathos, dans un dispositif abstrait » est l’autre fil conducteur souligné par la curatrice. En effet, dans les tableaux de Will Benedict, apparaît un jeu sur l’image dans l’image, associant la gestualité du pinceau à des photos d’agriculture, par exemple. « Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont ces compositions sont pré-arrangées par la culture », explique-t-il, d’où son intérêt par le tourisme et la mise en parallèle des circuits de distribution de l’alimentaire et de l’information. Cela dit, ses peintures restent irréductibles au discours et s’affirment plutôt facétieuses, teintées d’affects. C’est une vibration partagée avec Mélanie Matranga et son installation de lampes standard (dont une géante, bricolée de façon artisanale) qui recrée de façon très elliptique une sensation de domesticité, où la spontanéité ne peut qu’être une mise en scène. L’espace de la vie privée est, souligne-t-elle, structuré comme un langage. De mise en scène, il est aussi question chez Anne Imhof, mais son installation, qui garde les traces d’une performance, paraît orpheline de l’action mystérieuse à son origine. Intrigantes, les peintures minutieuses de Louise Sartor montrent l’insouciance de jeunes filles affichant des messages sur leurs t-shirts ­– une poésie explosive faite de lieux communs. Le motif est mis à mal par le support : peintes sur des bouts de papier qui leur coupent la tête, elles se cachent derrière leurs cheveux et dans les recoins de l’exposition. Cette tension entre la capacité à engager de l’empathie et la mise en évidence du caractère construit des images est poussée à l’extrême dans la vidéo de Julien Crépieux : le film Blow Up d’Antonioni est repris en ne gardant que certains photogrammes qui tombent dans un puits de miroirs, multipliant l’image de façon kaléidoscopique. Une déconstruction formelle qui renvoie à sa participation au groupe d’artistes réunis il y a dix ans par Elodie Royer et Yoann Gourmel, auquel appartenait aussi la curatrice du Prix. Pourtant, avec moins de distance formaliste, elle invite trois cinéastes qui convoquent le pouvoir du récit pour signer des œuvres directement politiques. Clarisse Hahn le fait avec une dureté à la hauteur de la dignité des femmes qu’elle filme et démonte la pseudo-neutralité comme une propagande. Clément Cogitore explore la croyance nécessaire à la fiction, soulignant l’incapacité du seul réel documentaire à comprendre le monde. Tandis que Marie Voignier fait la synthèse, entre un cadrage froid, une carte postale violente et la capacité involontaire de l’esprit autoritaire à être comique.

PARIS - 18e Prix Fondation d’entreprise Ricard, jusqu’au 29 octobre,

Fondation d’entreprise Ricard, 12 rue Boissy d’Anglas, 75008 Paris,

www.fondation-entreprise-ricard.com

Article issu de l'édition N°1155