Ces derniers mois, deux prises de paroles de présidents de collectivités territoriales ont fait grand bruit dans les milieux de la culture. Fin novembre, la présidente de la région Pays de la Loire Christelle Morançais (Horizons) annonçait du jour au lendemain une importante baisse des subventions, provoquant l’ire du secteur culturel local. Adopté à une large majorité le 19 décembre, le budget 2025 prévoit 82 millions d’euros d’économie avec des coupes drastiques dans la culture (-60 %), les sports, l’emploi et l’égalité hommes-femmes.
En janvier, le président de l’Hérault Kléber Mesquida (PS) lui emboîtait le pas : faisant part des difficultés financières du département, il expliquait que pour l’année 2025, les dépenses consacrées à la culture seraient limitées aux seuls financements obligatoires – soit une réduction du budget de 48 % par rapport à 2024. « Nous maintenons les financements pour la lecture publique et les médiathèques, les écoles de musique, les actions dans les MECS (maisons d’enfance à caractère social, ndlr) et les Ehpad, ainsi qu’au domaine d’O (un lieu de spectacles, ndlr) (3,10 millions d’euros) et à l’établissement public Hérault Culture (2 millions) », détaille-t-il dans un communiqué envoyé le 29 janvier. Interrogée dans Mediapart, Sandrine Mini, déléguée régionale du Syndeac (syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), s’agaçait de l’équivocité des propos de Kléber Mesquida : « Ils citent leurs compétences culturelles obligatoires et répondent : “Vous voyez, on ne coupe pas à 100 % !” Mais tout ce qui n’est pas obligatoire, ils le coupent ! Comment ça s’appelle, sinon un désengagement à 100 % des compétences non obligatoires ? »
Un modèle mis à mal
Largement médiatisées, ces annonces ont eu pour conséquence la création de plusieurs collectifs, comme « Debout pour la culture ! Debout pour le service public ! », dont la pétition a récolté plus de 40 000 signatures de professionnels (dont très peu des arts visuels), d'Adèle Haenel à Marie Ndiaye. Signée par un grand nombre de personnalités du spectacle vivant, elle attire l’attention sur le fait que « chaque fois qu’une coupe budgétaire de 20 000 euros est annoncée, c’est l’équivalent d’un emploi permanent dans une structure culturelle ou d’un emploi artistique, technique ou administratif intermittent qui est menacé de disparition ».
Dans l’Hérault comme en Pays de la Loire, les milieux culturels tentent de s’organiser. « C’est un peu la panique, rapporte Vincent Cavaroc, directeur et fondateur de la Halle Tropisme, tiers-lieu culturel montpelliérain. Certains acteurs vont être impactés frontalement par ces coupes mais attendent encore d’en être notifiés. » Si l’incidence de ce choix politique ne sera pas directe pour la Halle Tropisme, Vincent Cavaroc y voit « une accélération de la mise à mal de notre modèle ». Réunissant plus de 300 artistes ou entrepreneurs culturels, le tiers-lieu ne reçoit pas de subventions publiques. Mais parmi les acteurs qui le font vivre, « certains ont des financements du département et vont être mis en difficulté. Par ricochet, cela va inévitablement altérer notre modèle, détaille-t-il. Comment subsister alors que les subventions publiques se sont taries ? On se pose la question depuis des années ». Marine Lang, déléguée générale de Mécènes du Sud Montpellier-Sète et présidente du réseau art contemporain de la région Occitanie, abonde : « Les départements sont de plus en plus pauvres et ont de moins en moins de compétences. Il n’y a quasiment aucune structure d'arts visuels financée directement par l'Hérault. Par contre, le département organise régulièrement des appels à projets. »
Le public lésé
Ainsi, l’une des premières victimes de la suppression de ces financements sera inévitablement… le public lui-même, qui bénéficiait de ces projets. C’est le cas dans la région Pays de la Loire où le dispositif Écrin (Établissements culturels régionaux inclusifs), mis en place en 2023 à destination des personnes handicapées, n’a pas reçu de subvention pour l’année 2025, alors même que la présidente de région Christelle Morançais a fait du handicap « la grande cause de son mandat », affirme le site internet de la collectivité, où l’on peut aussi lire : « Le handicap est l’une des priorités affirmées de la nouvelle politique culturelle. »
Selon nos informations, le FRAC Pays de la Loire (Carquefou et Nantes) va voir quant à lui son budget total raboté de 22 % à cause des suppressions annoncées par la région. Son antenne nantaise, inaugurée en 2021, va probablement devoir fermer ses portes. Recensées par Médiacités Nantes, les coupes régionales toucheraient également l’abbaye royale de Fontevraud, qui voit la sienne réduite de 300 000 euros, le pôle des arts visuels Pays de la Loire, qui accuse une baisse d’au moins 50 %, ou encore la revue 303 qui, à terme, risque la disparition. Le département de Loire-Atlantique fait lui aussi baisser certaines de ses subventions à la culture, mais « cela fait deux ans qu’ils nous préparent à cette éventualité, explique une actrice du territoire. Ce n’est pas du tout la même manière de faire qu’à la région ».
Frontières éthiques
« On aurait pu espérer qu’une telle coupe ne vienne pas d’un gouvernement de gauche, regrette Vincent Cavaroc. Les annonces de Kléber Mesquida risquent de décomplexer tout le monde. » Marine Lang ne dit pas autre chose : « Les frontières éthiques des autres financeurs risquent de tomber : la culture devient ce que l’on peut facilement supprimer dans un budget de crise. » Dans nombre d’autres régions, départements ou communes, les subventions à la culture se réduisent comme peau de chagrin. « On paie une très mauvaise gestion de l’État », avance Vincent Cavaroc. La santé financière des départements est mauvaise : avec la suppression de la taxe d’habitation, les recettes fiscales propres ont chuté.
Lors de ses vœux aux acteurs et actrices de la culture, le 27 janvier, la ministre Rachida Dati a fait allusion aux récentes ponctions opérées par les collectivités, appelant celles et ceux qui « ont justifié leur désengagement par la baisse des dotations de l’État » à revenir sur leur vote. L’heure serait-elle à l’austérité généralisée ? Avec le rejet, le 5 février, de la motion de censure proposée par la France Insoumise, la France s’est finalement dotée d’un budget pour l’année 2025 et a fixé le budget général de la rue de Valois à un peu plus de 4 milliards d’euros. Le ministère voit ses crédits baisser de 150 millions d’euros (après 200 millions en 2024) : seule la création est hausse (+ 45 millions d’euros), tandis que le patrimoine perd 200 millions d’euros, et la « transmission des savoirs et la démocratisation de la culture » 20 millions. Le projet de loi de finances (PLF) impose par ailleurs une baisse de 2,2 milliards d’euros des crédits aux collectivités territoriales, et l'augmentation des sommes ponctionnées sur leurs recettes.
Instrumentalisation
Plus que jamais, le financement (ou non) de la culture est devenu un levier politique, et aussi l’occasion de s’envoyer des piques entre présidents de collectivités. Certains veulent agir à rebours des décisions de Christelle Morançais, et ne pas devenir le « nouveau Laurent Wauquiez », qui opéra en 2022 des coupes majeures en Auvergne-Rhônes-Alpes. Ainsi, le président du conseil régional de Bretagne Loïg Chesnais-Girard (ex-PS) a assuré que les enveloppes prévues pour la culture, le sport ou les langues n’allaient pas diminuer en 2025. De son côté, le maire de Nice (Horizons) Christian Estrosi affirme : « Dans le budget 2025, nous avons fait des efforts d’économies partout où nous le pouvons, notamment sur la masse salariale, le parc automobile ou en supprimant des bureaux, mais la culture, c’est intouchable. » Alors que les élus d’opposition s’inquiètent de l’importante dette de la ville (548 millions d'euros), l'édile indique consacrer 16,4 millions d’euros au « rayonnement culturel » et 3,8 millions à la valorisation du patrimoine. « Dans nos 163 écoles, pour nos 28 000 écoliers, nous avons mis en place un programme 100 % culture, avec cours de théâtre, apprentissage d'un instrument, visites de musées. Pour vaincre la violence en milieu scolaire, le sport seul n'a pas marché, mais la culture a eu un effet spectaculaire », poursuit-il.
Pour le sociologue Fabrice Raffin, la question du clivage politique « gauche-droite » n’existe pas vraiment sur un terrain où « se jouent des arbitrages très concrets ». « J’observe, par contre, une instrumentalisation de la culture par le politique », dit-il. Et d’ajouter : « Le politique se ré-idéologise et les financements alloués à la culture aussi. Ce qu’il serait important de décoder, c’est : quelles sont les valeurs cachées derrière ces coupes ? »
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Conseil Départemental de l’Hérault.
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