Il est primordial pour un artiste de disposer d’un texte critique de qualité sur son travail. C’est le souhait d’encourager ce format d’écriture qui est à l’origine des bourses Ekphrasis, lancées par l’ADAGP en association avec l’AICA France et le Quotidien de l’Art : elles ont pour objet de mettre en relation 10 artistes avec autant de critiques. Les textes des 10 lauréats de cette deuxième édition (dotés chacun de 2 000 euros, couvrant la rédaction du texte et sa traduction) sont publiés au long de l’année dans le Quotidien de l’Art, au rythme d’un par mois. Dans cette sixième livraison, Camille Debrabant se penche sur le travail de Sylvie Fajfrowska.
Invariablement, c’est par leur format que Sylvie Fajfrowska désigne ses peintures – les grands (300 × 200 cm), les formats intermédiaires (200 × 160 cm) et les petits (40 × 15 cm) –, même après leur avoir donné un titre à la sortie de l’atelier. Cette nomination est significative de la manière dont l’artiste nous invite à appréhender son œuvre sous l’angle de sa matérialité. Déterminant la temporalité de l’exécution, le choix du format est lui-même dicté par une logique saisonnière : dans le froid hivernal de l’atelier s’élaborent les petits et les moyens, tandis que les grands tableaux font leur retour à la belle saison. L’importance de l’échelle rend compte de sa méthode de travail, empirique et sensible. Puisqu’aucun sujet, ni motif ou protocole[1] préalable ne s’impose en amont de l’élaboration picturale, c’est bien au format de la toile qu’il revient en priorité de conditionner les possibilités de la composition à venir en matière de gestualité, de facture et d’iconographie.
Dans cette peinture à la mesure du corps, rien d’étonnant a priori à ce que les tableaux se structurent autour de figures, solidement campées en pied. Pourtant ces silhouettes féminines n’ont pas toujours été là. Dans les œuvres des années 1990, leur présence était simplement suggérée, en creux, par des espaces meublés ou des vêtements en attente de corps.…