Début avril, Melbourne s’abandonne aux dernières lueurs de l’été austral. Depuis novembre, les platanes de St Kilda Road, en face de la National Gallery of Victoria (NGV), sont enveloppés d’un textile à pois roses et blancs : Ascension of Polka Dots on the Trees est une installation in situ de Yayoi Kusama. Elle prolonge dans l’espace public la rétrospective monumentale consacrée par la NGV à l’artiste japonaise – la plus importante jamais présentée en Australie. L’exposition retrace huit décennies de création, des premiers dessins des années 1940 aux emblématiques Infinity Mirror Rooms, dont dix sont ici réunies, un record. Conçue en collaboration avec le Yayoi Kusama Museum, le National Museum of Modern Art et le Museum of Contemporary Art de Tokyo, elle explore la répétition obsessionnelle, l’auto-oblitération fondatrice et les années new-yorkaises de Kusama.
À l’image des platanes, introduits à l’époque coloniale en Australie, la majorité des œuvres viennent d'ailleurs. Les jeunes collections australiennes en possèdent peu. La NGV compte désormais Dancing Pumpkin (2020), citrouille jaune de cinq mètres de haut pour neuf tonnes, un don évalué à 10 millions de dollars australiens (5,5 millions d’euros). Ses 11 jambes dansent encore dans le foyer, alors que l’exposition approche de sa clôture, le 20 avril. Le bilan est déjà triomphal : les prévisions tablent sur 500 000 visiteurs, ce qui en ferait l’exposition d’art payante la plus populaire de l’histoire en Australie. Ce succès illustre la solidité d’un modèle institutionnalisé : celui des grandes expositions temporaires qui scandent les saisons – une en été, une en hiver. « Deux blockbusters par an, c’est une stratégie que nous suivons depuis plus de 20 ans. Elle fait partie de notre identité », explique Tony Ellwood, directeur de la NGV. Un modèle qui s’est depuis imposé à l’échelle nationale.
Chefs-d'œuvre étrangers : engouement et dépendance
Face à Kusama, l’Art Gallery of New South Wales (AGNSW) accueillait cet été à Sydney la première rétrospective australienne consacrée à René Magritte, en partenariat avec la Magritte Foundation de Bruxelles. L'année précédente, Maman (1999) de Louise Bourgeois déployait ses pattes arachnéennes sur le parvis : « Louise Bourgeois: Has the Day Invaded the Night or Has the Night Invaded the Day? » réunissait 120 pièces de l'Easton Foundation de New York. En 2021-2022, c’est le Centre Pompidou qui apportait ses Matisse pour « Matisse: Life & Spirit » à l'AGNSW, tandis que le Los Angeles County Museum of Art contribuait au blockbuster « Alexander McQueen: Mind, Mythos, Muse » à la NGV.
Un ping-pong culturel bien rodé entre les institutions locales et leurs partenaires de l’autre hémisphère, séduits par une Australie eldorado du mécénat. « Les Australiens voyagent beaucoup. Ils connaissent le MoMA, la Tate ou le Louvre, fait remarquer Tony Ellwood. Notre ambition est d’offrir des expériences du même niveau. Nous travaillons avec les curateurs internationaux pour rendre chaque projet unique. » Mais, même si elles sont conçues sur…