Le 29 novembre 2023, le commissaire d'exposition Vincent Honoré a mis fin à ses jours, à son domicile. Depuis 2019 il était directeur des expositions au MO.CO. de Montpellier. Immédiatement, le syndicat CFDT de l'institution a demandé que soit lancée une enquête administrative afin de faire la lumière sur les causes du suicide. Celle-ci a été refusée par Éric Penso, président du conseil d'administration. De son côté, la famille de Vincent Honoré a fait courant décembre une demande d'enquête auprès de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), qui a conclu en mars à la qualification du suicide comme « accident du travail », après avoir interrogé l'entourage professionnel, ainsi que des collègues et proches de Vincent Honoré, et consulté des preuves écrites. La famille de Vincent Honoré a maintenant deux ans pour décider si elle souhaite engager des poursuites pénales.
Un recours déposé
Contactés, le président du CA et le directeur du MO.CO. n'ont pas donné suite à nos demandes d'entretiens. C'est Julien Fournel, directeur Ressources, qui nous répond par mail : « Compte tenu des observations factuelles que nous avons apportées, des multiples témoignages que nous avons recueillis remettant en cause la version adverse, et du caractère orienté de l’enquête, le MO.CO. conteste vigoureusement cette décision et a déposé un recours auprès de la commission de recours amiable. » Il précise que des élus du personnel ont lancé en janvier dernier un questionnaire sur les risques psychosociaux auprès de l’ensemble du personnel, « à l’issue duquel plus de 90 % des agents s’étant prononcés se considèrent satisfaits de leur travail, considèrent bénéficier d’une autonomie et de marges de manœuvre suffisantes, et que leur travail correspond à leurs compétences et leur fiche de poste ».
À noter que la direction du musée n'a pas communiqué elle-même les conclusions de l'enquête de la CPAM à ses équipes. C'est une représentante du personnel qui les a inscrites dans le compte rendu du dernier conseil d'administration.
Mise à l'écart
D'après les témoignages que nous avons pu recueillir, l'arrivée de Numa Hambursin à la direction du MO.CO. a été vécue comme un « traumatisme ». Sa nomination, suivant l'éviction sans ménagement de Nicolas Bourriaud, a été passée en force par la mairie et la métropole après un vote qui n'a pas recueilli toutes les voix nécessaires. Aujourd'hui, les instances locales tout comme Éric Penso soutiennent sans faille Numa Hambursin. Le conseil d'administration du 5 avril, précise Julien Fournel, « s’est prononcé favorablement, à l’unanimité, sur le principe de renouvellement du mandat du directeur général, en ce compris les voix des représentants des personnels et des étudiants, exprimées après un sondage effectué auprès de l’ensemble des personnels, dont la majorité s’était prononcée favorablement ». Il n'y aura donc pas d'appel à candidatures à la fin du mandat de Numa Hambursin, qui devrait être reconduit automatiquement en juin pour trois ans.
Pourtant, parmi les personnes que nous avons interrogées, plusieurs citent le caractère « autoritaire » et « versatile » du directeur, sa « vision très hiérarchique », l'absence de projet scientifique et culturel et des comportements récurrents : « humiliations », « invisibilisation », « communication inexistante ». Des attitudes qui visèrent particulièrement Vincent Honoré, à la tête de l'équipe curatoriale : « Aux vernissages de ses propres expositions, on ne lui laissait pas prendre la parole, en particulier devant les représentants politiques », raconte un salarié. Ainsi, en 2022, une visite de l'exposition « Musées en exil » avec l'ancien président de la République François Hollande s'est faite sans son commissaire, qui n'en avait pas été averti, tandis qu'il fut désinvité du dîner avec les directeurs des musées. La stratégie d'effacement du curateur reconnu internationalement, dont le travail, d'après ses collaborateurs, n'est pas salué par sa hiérarchie, va jusque dans la communication du lieu : le nom de Vincent Honoré est dissimulé dans les livrets d'expositions.
Une situation d'isolement accentuée par la segmentation des équipes et des services, et une direction à trois têtes (avec Delphine Goutes, directrice de la coordination, et Margaux Strazzeri, à la communication) très hermétique. Selon ses collègues, « Vincent Honoré était plus concerné que les autres, car il faisait le tampon entre la direction et nous ». Pour elles et eux, la proposition d'un nouvel organigramme a été un « élément déclencheur » de l'accentuation du mal-être du curateur. Le 22 novembre 2023, une semaine avant son décès, une réunion à laquelle il ne peut assister présente le résultat d'un audit interne au sujet d'une réorganisation. Dans la hiérarchie, une personne devait s'intercaler au-dessus de Vincent Honoré, lui retirant la responsabilité des publics. Une « rétrogradation cachée », selon ses collaborateurs : d'après le droit du travail, celle-ci peut être assimilée à du harcèlement moral. Le 27 novembre, la réorganisation est présentée aux syndicats. Vincent Honoré, qui avait postulé sans succès dans d'autres structures, est de retour le 28 et se suicide le lendemain. À un ami auquel il avait confié ses intentions suicidaires, il écrivait peu avant : « Je suis pris au piège au MO.CO., je n'arriverai pas à partir. »
Dans les semaines qui suivirent, quatre personnes de son équipe furent placées en arrêt maladie prolongé – y compris Numa Hambursin pendant une semaine. La famille de Vincent Honoré, notamment sa fille de 16 ans, n'a reçu aucunes condoléances de la part de l'institution. Encore aujourd'hui, la direction n'évoque pas l'événement, et n'a pas prévu de moment de recueillement. Une soirée d'hommage, organisée par plusieurs salariés, a eu lieu le 28 janvier, dernier jour de l'exposition Huma Bhabha dont Vincent Honoré était le commissaire. Il n'a pas été remplacé à son poste. « Nous sommes seuls », affirment aujourd'hui ses anciens collègues.