« Where is Ana Mendieta? », réclament depuis près de quarante ans les féministes. Ana Mendieta manque, car Ana Mendieta est partout aujourd’hui : dans l’éco-féminisme, dans le rapport à la nature, dans le travail de la main. « Je voulais célébrer sa vie plutôt que sa mort », martèle Vincent Honoré, commissaire avec Rahmouna Boutayeb de l’exposition que le MO.CO. consacre à l’artiste cubaine. Il est en effet un sujet difficile à évacuer : Mendieta fut retrouvée morte en 1985, à l’âge de 36 ans, au pied de l’immeuble où elle vivait avec son mari, l’artiste Carl Andre, inculpé puis innocenté. Ce féminicide présumé et la justice qui expédia l’affaire sont emblématiques, de manière littérale, de l’invisibilisation des femmes dans l’art. Mais Ana Mendieta ne saurait être réduite à un symbole des violences faites aux femmes. Animée, engagée, elle ne vécut pas invisible. Dès ses études à l’université de l’Iowa, elle se fait remarquer par ses performances politiques. Enseignant, travaillant en collectif, elle explore tout : peinture (avec une puissance stupéfiante exposée ici pour la première fois), film, photographie, body art, théâtre. Petit à petit, Mendieta fond son corps dans le paysage (y compris dans le white cube, que l’exposition rejoue à plusieurs reprises), s’effaçant jusqu’à l’état de trace. Par opposition aux pièces de Land Art de ses confrères masculins, ses Earth Bodies, frottés sur des arbres, éclairés de feux d’artifice, dessinés dans le sable, ne viennent pas perturber la nature. Archéologue pour le futur, travaillant sans protocole, elle s’allonge nue dans d’anciennes tombes mexicaines, sculpte ses Siluetas, inspirées des déesses mères et vulves stylisées du néolithique, sur les falaises de la forêt cubaine, brûle l’herbe à la poudre à canon, ordonne des compositions florales romantiques qui tiennent autant de la scène de crime que du rituel de passage. La peinture est toujours là, sous forme de pigments. La photographie n’esthétise pas. Où est Ana Mendieta ? Dans ces moments, toujours brûlants.
« Ana Mendieta. Aux commencements », MO.CO. Panacée, Montpellier, jusqu’au 10 septembre.
moco.art