Tandis que la guerre entre Israël et le Hamas s'intensifie, avec des bombardements continus de Tsahal sur la bande de Gaza et plus de 200 personnes toujours otages de l'organisation palestinienne, le milieu de l'art, d'abord long à réagir, se déchire entre pétitions et contre-feux, reflétant les tensions que le conflit attise dans de nombreux pays. Publiée le 19 octobre dans Artforum et Hyperallergic, une « lettre ouverte de la communauté artistique aux organisations culturelles », réclamant « la libération de la Palestine » et signée par plus de 8 000 personnes (parmi lesquelles Dora García, Cecilia Vicuña, Judith Butler, Paul Maheke, Kara Walker), a fait immédiatement réagir. Le lendemain, Dominique Lévy, Brett Gorvy et Amalia Dayan, directeurs de la Lévy Gorvy Dayan Gallery, y répondaient dans un court message : « Nous dénonçons toutes les formes de violence en Israël et à Gaza et sommes profondément préoccupés par la crise humanitaire. Nous condamnons la lettre ouverte pour sa vision unilatérale. Nous espérons favoriser un discours susceptible de conduire à une meilleure compréhension des complexités impliquées ». Le 23 octobre, le magazine israélien en ligne Erev Rav publiait de son côté un texte, « Both Should Come Together », paraphé notamment par Daniel Libeskind, Johann König, Ron Arad, Hito Steyerl, Martha Rosler, Yael Bartana et Dan Perjovschi, dénonçant lui aussi dans la lettre ouverte l'absence de mention des massacres et kidnappings du 7 octobre par le Hamas (lire la traduction française sur le site de Tenoua). Quatre jours plus tard, un addendum à la lettre d'Artforum précisait : « Nous partageons notre répulsion face aux horribles massacres de 1 400 personnes en Israël perpétrés par le Hamas le 7 octobre. Nous pleurons toutes les victimes civiles », tandis que plusieurs personnalités – parmi lesquelles Peter Doig, Katharina Grosse, Tomás Saraceno, Joan Jonas – en faisaient retirer leur signature. Le 26 octobre au soir, on apprenait que David Velasco, réputé rédacteur en chef d'Artorum depuis 2017, était renvoyé par sa direction car la publication de la lettre était « non conforme au processus éditorial d’Artforum ». La même semaine, Die Tageszeitung publiait une « lettre ouverte d'artistes, écrivains et intellectuels juifs d'Allemagne » (traduite en anglais dans n+1) appelant à « la liberté pour ceux qui pensent différemment », condamnant la répression de « toute expression politique non-violente légitime pouvant inclure des critiques à l’égard d’Israël » (parmi les signataires : Candice Breitz, Adam Broomberg, Eyal Weizman). Sur Instagram Jeremy Hodkin, auteur de la newsletter The Canvas, affirme avoir perdu des abonnés et des sponsorings de galeries suite à sa virulente objection à la lettre d'Artforum. Dans un contexte où pullule la désinformation, toute prise de position peut ainsi faire l'objet de violentes critiques. Plusieurs artistes, ayant exprimé leur soutien à Gaza et à la Palestine, ont vu l'annulation de projets auxquels ils ou elles devaient participer, rapporte Hyperallergic. Pour leur part, les institutions restent pour la plupart silencieuses. L'ICOM Israël a adressé à l'organisation-mère une lettre « implorant la communauté de l'ICOM à condamner le massacre de citoyens sans défense par le Hamas ». En guise de réponse, l'ICOM diffusait le 26 octobre un communiqué exprimant « sa profonde préoccupation face aux violences actuelles qui touchent les civils israéliens et palestiniens », appelant « toutes les parties à respecter le droit et les conventions internationales » et à un cessez-le-feu immédiat. Interrogé par The Art Newspaper, l'ICOM Israël s'est dit « profondément déçu » par cette réponse d'où est absente toute mention des atrocités commises par le Hamas. Sur Artnet, Sascha Freudenheim estime, quant à lui, « improductives » les déclarations de solidarité des institutions « sans lien avec des actions concrètes ». À Gaza, où les frappes d'Israël ont à ce jour tué, selon le Hamas, plus de 7 000 personnes depuis le 7 octobre, plusieurs artistes ont perdu la vie : la peintre Heba Zagout ainsi que Muhammed Sami Qariqa, qui participait au sein du collectif Hawaf à l'exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » à l'Institut du monde arabe, à Paris, a annoncé son président Jack Lang sur X (ex-Twitter).