Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

Le musée national de l’Histoire de l’immigration tente de faire sa mue 

Le musée national de l’Histoire de l’immigration tente de faire sa mue 
Le Palais de la Porte Dorée à Paris qui abrite le musée national de l’Histoire de l’immigration.
© Palais de la Porte Dorée. Photo Pascal Lemaître.

Après trois ans de travaux, le musée national de l’Histoire de l’immigration, à Paris, présente à partir du 17 juin sa nouvelle exposition permanente. Il tente de faire peau neuve dans un contexte politique toujours aussi hostile à l’immigration.

Déjà 16 années d’une existence agitée dans l’enceinte du Palais de la Porte Dorée, à Paris… Le musée national de l’Histoire de l’immigration (MNHI), dont la surface a doublé, ouvre ses nouvelles salles de collections permanentes le 17 juin. Son parcours chronologique s’articule dorénavant autour de 11 « dates repères » historiques. Il démarre en 1685 avec la promulgation du Code noir, avec en écho une installation sur la mémoire de l’esclavage par l’artiste franco-haïtienne Gaëlle Choisne. Si le climat politique anti-migrants et les discriminations pour une partie des populations descendantes d’immigrés persistent (comme le montre une fois encore une récente étude de l'Insee), la mission principale de l’établissement reste de « contribuer à faire évoluer les regards et les mentalités sur l’immigration ».       

Le musée insiste sur l’importance de recentrer ses efforts sur sa vocation première : réconcilier histoire de France et celle de l’immigration, afin de construire un récit collectif apaisé. « L’histoire de l’immigration est celle de notre pays », martèle Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte Dorée, qui abrite le musée et l’Aquarium tropical. Elle rappelle la dimension didactique du musée et mentionne un récent vaste sondage commandé par l'institution qui démontre que « plus la connaissance sur l'immigration est faible plus les opinions sont en sa défaveur ». « Il faut savoir que près d’un Français sur trois est issu de l’immigration », souligne-t-elle. La question sur les migrations en cours est aussi adressée dans un espace consacré au « temps présent », clôturant ainsi le parcours. « C’est important d’être en phase avec l’actualité et les enjeux de société, explique la conservatrice Emilie Gandon. Et d’aller à l’encontre de certaines idées reçues. Ainsi la France n’est pas, comme on le croit, le pays où il y a le plus de réfugiés en Europe. » 

L'éléphant dans la pièce : le non-dit colonial 

La conception du nouveau parcours se caractérise par une vision plus longue et globale de l’histoire de l’immigration, s’appuyant sur le rapport de l’historien Patrick Boucheron, placé à la tête d’un large comité scientifique. En plus de remonter dans le temps, deux siècles plus tôt, l’autre grande nouveauté concerne la prise en compte de l’éléphant dans la pièce : à savoir le non-dit autour du colonialisme et de l’esclavage. « Le parcours précédent, très marqué notamment par le travail de Gérard Noiriel, était centré sur l’histoire de l’immigration européenne, qu’il faisait démarrer au XIXe siècle, explique Camille Schmoll, géographe à l’EHESS et membre du comité scientifique. La dimension coloniale dans toute la question migratoire est pourtant fondamentale, même si on ne peut pas limiter l’histoire de l’immigration à celle-ci. C’est dans cette tension-là qu’on a essayé de travailler. » 

Paradoxe ou ironie du sort ? Cette histoire coloniale vient s’inscrire sur les murs même du musée, censé apporter une distance critique. En effet, le Palais de la Porte Dorée, un bâtiment monumental Art déco, a été spécialement construit pour l’Exposition coloniale internationale de 1931, avec ses bas-reliefs s’étalant sur toute la façade et ses immenses fresques tout à la gloire de l’empire colonial français. Avant que le MNHI (anciennement Cité nationale de l'histoire de l'immigration, CNHI) ne s'installe à la Porte Dorée, d’autres lieux avaient été envisagés : la Bourse de Commerce, une partie du Palais de Chaillot, l’hôpital Laennec, l’ancien Centre Américain à Bercy ou encore… le toit de la Grande Arche de La Défense. « Même si ce n’est pas facile, on doit faire face à notre histoire et assumer le rôle de propagande coloniale que ce lieu a joué », déclare Constance Rivière. « Le musée doit investir son lieu car il lui faut affronter son histoire », sans pour autant « imposer à l’histoire des immigrations une surdétermination coloniale », précise pour sa part Patrick Boucheron dans son rapport. Cependant le génie des lieux, avec son cadre imposant, résiste à cette volonté d’y faire face, à cette « volte-face » supposée déjouer « la ruse de l’histoire », comme le préconise l’historien. Cette contradiction dérangeante, qui a fait l’objet de critiques dès ses débuts (et même dès 1960, en pleine décolonisation, quand le Palais de la Porte Dorée abrita le musée des arts africains et océaniens), est encore pour beaucoup intenable. 

« Contradictoire et dérisoire » 

Autre ruse à déjouer, celle de l’histoire présente, qui se caractérise par des lois anti-immigration toujours plus restrictives (ainsi que le rappelle le président d'Amnesty France dans une tribune au Monde), avec certains discours politiques dans la surenchère xénophobe, en France mais aussi en Europe. Un musée sur l’histoire de l’immigration peut-il encore avoir un rôle effectif à jouer ? « C’est toujours très utile de travailler sur la réalité du fait migratoire, affirme Tania Racho, spécialiste en droit européen et membre du réseau Désinfox-Migrations, qui lutte contre la désinformation sur les migrations. Tout le discours politique est fondé sur une fausse idée de ce qu’est la migration, comparée à une submersion. » Elle poursuit : « Les Français pensent qu’il y a 23 % d’étrangers dans le pays, alors qu’il y en a moins de 8 %, soit 15 points d’écart. Ce type de musée sert à remettre les réalités en place et changer la narration ». 

Pour sa part, Jean-François Martini, juriste au sein du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), se montre plus mitigé et relève des contradictions. « Ce musée est sûrement précieux pour faire valoir toute cette histoire, mais son action demeure très faible face à un pilonnage politique anti-migrants. D’un côté, l’État met en place et finance un musée, et de l’autre, certaines politiques font de l’immigration le mal absolu, s’agace-t-il. Cela paraît contradictoire et un peu dérisoire, surtout quand on sait que la migration tue. » 

Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
© Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration. Photo Cyril Zannettacci.
Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
© Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration. Photo Cyril Zannettacci.
Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
Vue de l’une des nouvelles salles des collections permanentes du musée national de l’Histoire de l’immigration.
© Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration. Photo Cyril Zannettacci.
Code Noir, coll. Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Don O. Laouchez.
Code Noir, coll. Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Don O. Laouchez.
© Philippe Fraysseix, EPPPD-MNHI.
S.A.I.E Moriamé, Le racisme divise, Musée national de l’histoire de l’immigration.
S.A.I.E Moriamé, Le racisme divise, Musée national de l’histoire de l’immigration.
© EPPPD-MNHI.
Paul Almasy, Arrivée dans le port de Marseille,1965.
Paul Almasy, Arrivée dans le port de Marseille,1965.
© EPPPD-MNHI, © Paul Almasy/ AKG-images.
Patrick Boucheron.
Patrick Boucheron.
© DR.
Tania Racho.
Tania Racho.
© DR.
Camille Schmoll.
Camille Schmoll.
© DR.
Constance Rivière.
Constance Rivière.
© Palais de la Porte Dorée/Musée national de l’histoire de l’immigration. Photo Cyril Zannettacci.

Article issu de l'édition N°2631