L’anniversaire est funeste et la maladie toujours présente : trois ans après l’arrivée du Covid-19 en France, de nombreux artistes ont vu leur quotidien changer. Confiné le 17 mars 2020, le pays s’est figé et le monde replié chez soi. Les artistes plasticiens ont vécu cette crise d'une manière particulière. Certains n’ont plus eu la possibilité d’accéder à leur atelier, d’autres ont vu leurs projets d’exposition reportés si ce n’est annulés, l’accès aux matériaux a été entravé. Un certain nombre ont été malades, ont perdu des proches ou ont été plongés dans une précarité économique conséquente. Pour elles et eux, la réalité des confinements ce fut le manque à gagner, les charges incompressibles, la peur du lendemain. Et plus encore le sentiment amer d’être peu considérés par un milieu dont ils sont pourtant les piliers : les maigres mesures du gouvernement annoncées en avril 2020 – notamment le report des cotisations sociales et l’aide forfaitaire de 1500 euros aux micro-entrepreneurs pouvant attester d’une perte de revenus de 50 % – étaient insuffisantes et inadaptées.
Une prise de recul forcée
Pour certains, leur pratique en a été changée. « Le confinement a été une permission du dehors pour me concentrer vraiment sur mon travail », se souvient le peintre Alexandre Baldrei. Tout en mesurant la gravité de la situation, l’artiste explique avoir pleinement embrassé l’absence « d’intempestifs extérieurs » et profité du « temps très long du confinement pour peindre ». Il affirme par ailleurs que ce contexte lui a permis d’augmenter sa capacité de travail. Aujourd’hui, sa pratique s’est « intensifiée de façon positive ». Avec le recul, la plasticienne Flora Citroën voit elle aussi désormais l’épreuve de la pandémie comme bénéfique. « Ça m’a mise sur la bonne voie », se réjouit celle qui produisait plutôt jusqu'alors des installations et des vidéos. En mars 2020, elle quitte son atelier. « Cela devenait lourd psychologiquement et économiquement d’avoir ce lieu », explique-t-elle. Ses expositions ou projets d’expositions étant décalés ou annulés, Flora Citroën commence à « produire sans perspectives ». Et de détailler : « J’avais six mois de stock d'œuvres devant moi. C’était étrange ». Le constat est le même pour Laure Wauters qui, en raison de la difficile circulation des œuvres pendant cette période, a eu l’impression de « construire un petit mausolée avec toutes les pièces ». « L’aspect mortifère de cette démarche est particulièrement ressorti à cette époque », continue l'artiste qui peint, dessine et réalise aussi des sculptures.
Chacune interroge alors ses modalités de création. Si Flora Citroën décide d’abandonner l’objet pour se lancer dans l’écriture d’un roman et placer le texte et sa forme au cœur de sa pratique, Laure Wauters se penche sur « le relativisme de [sa] production par rapport aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ». Des questions déjà présentes dans son travail se sont amplifiées, notamment la toxicité des matériaux employés et les déchets que la pratique artistique produit. « Désormais je fais en sorte que les pièces que je crée portent en elles des solutions d’accrochage et de stockage », précise-t-elle.
La crise sanitaire a précarisé beaucoup d'artistes, mais pour Benoît Piéron, elle a « curieusement eu une incidence positive sur [sa] visibilité et [son] économie ». Né avec une méningite, hémiplégique, Benoît Piéron est atteint d’une leucémie à l’âge de trois ans. Il dcélare un nouveau cancer des années plus tard et découvre dans la foulée une myopathie. « Avec la crise sanitaire, le monde entier s’est retrouvé assis sur le même banc que moi, précise l’artiste. Avant j’étais invisibilisé, car tout le monde s’en fiche des artistes invalidés ». Pour des raisons très différentes, le constat est le même pour Flora Citroën qui gagne désormais mieux sa vie, car sa pratique entraine moins de dépenses : « Toute mon économie s’est précisée depuis les débuts du Covid-19 et désormais cela s’agence plutôt bien ». Pour d’autres, c’est moins réjouissant : certains regrettent notamment que les collectionneurs n’aient pas tous repris les visites d’atelier, et beaucoup font part de leur envie de travail collectif, suite à l'isolement des confinements successifs.
Porter la voix
« Il y a deux ans encore, je n’avais aucune exposition prévue et n’étais pas représenté par une galerie », raconte Benoît Piéron, représenté par la galerie Sultana depuis juin dernier. Depuis, l’artiste qui crée des patchworks, poupées ou installations avec du matériel médical, a été sélectionné pour le prix Pernod Ricard, était présent à Paris+ par Art Basel, prépare, entre autres, une exposition avec Emma Lavigne, et participe à l'exposition « Exposé]]>es », sur l’épidémie de sida et les artistes, au Palais de Tokyo à partir de février. « Pendant la crise sanitaire, j’ai eu le sentiment que pas mal de personnes sont venues vers moi me demander des ressources, raconte-t-il. Les gens ont eu besoin de donner du sens à ce qu’ils étaient en train de vivre. S’il y avait une forme de déni avant, mon propos est devenu audible. » L’art est un moyen pour l'artiste de donner un sens à sa survivance : « On peut être anéanti par la culpabilité. Je voulais travailler pour les morts et porter leur voix ». Avec la crise sanitaire, la mort a été davantage présente, dans la société comme au sein des équipes de musées, centres d’art ou galeries. « Le Covid les a sensibilisés », explique Benoît Piéron qui, désormais, vit de l’économie de son travail.