Les signaux sont là : la pénétration du monde économique dans la culture soumise à rude épreuve par les finances publiques, la mondialisation et la digitalisation ont ouvert une brèche dans la sacro-sainte opposition entre secteur privé et mission publique. Offre commerciale aspirée par des logiques productivistes à brèves échéances d’un côté. Offre culturelle ancrée dans le temps long de la science de l’autre. Les deux entités sont historiquement sacrées frères ennemis. Mais ces deux visions irréconciliables ne sont plus. Happés par un puissant mouvement d’ouverture à leur environnement et de questionnements sur leur rôle social, musées et entreprises se jaugent autrement depuis quelques années dans un rapport plus équilibré.
Inauguré en 2014, le musée des Confluences à Lyon est de cette génération de musées nés après l’engouement exponentiel pour le mécénat d’entreprise comme supplétif aux subsides publics. Son constat de départ est simple : l’entreprise est un public avant d’être un financeur. Chargé de faire surgir des modalités de relation musée-entreprise innovantes, un groupe de travail informel est né en 2016. Parmi ses fruits, un partenariat est conclu en 2018 avec Bouygues, dont le chantier de reconversion de la friche Berliet réalisé dans le cadre du 1 % artistique a donné lieu à un travail rémunéré de médiation sur l’histoire du lieu, conçu par le musée lyonnais. En échange de cette mission valorisant l’expertise de l’institution, le constructeur finance un lot de pass annuels du musée pour la population. Ni tout à fait mécénat, ni tout à fait prestation de service, la relation s’hybride.
Un think-tank économico-culturel
Le mouvement se retrouve à l’Institut du monde arabe, à Paris. Depuis 2014, l’établissement mêle avec gourmandise langage entrepreneurial et enjeu muséal en se muant en plateforme de rencontres et d’échanges économiques à destination des chefs d’entreprise. Solidement ancrée dans le milieu diplomatique, l’institution met à profit son réseau pour attirer les entreprises désireuses de renforcer ses liens avec la France ou le monde oriental. Rentabilisé sous forme de location d’espace, ce think-tank économico-culturel sur le monde arabe jette des ponts avec sa programmation culturelle que les entreprises sont invitées à soutenir, en même temps qu’il sensibilise au patrimoine arabe en péril. Loin de l’image d’un service public désargenté, le musée se positionne dans la sphère économique comme un acteur incontournable conscient de ses atouts intrinsèques pour une entreprise. Ce même renversement de paradigme par lequel seule l’entreprise aurait quelque chose à apporter au musée s’opère au Centre Pompidou. Avec le lancement en 2018 de son École Pro, offre de formation à destination des entreprises, l’institution répond avec facétie à l’envie des entreprises de développer de nouvelles perspectives dans le monde du travail. La créativité, l’incertitude, l’engagement collectif, la couleur ou l’innovation sont autant de thèmes abordés dans lesquels le musée et le processus artistique sont légitimes. Rencontres avec des artistes, visites des collections, ateliers pratiques, ces séminaires sur-mesure et donc pas encore tout à fait rentables ont touché des profils aussi différents que des banquiers, ingénieurs ou commerciaux.
Le doute n’est plus possible : partout le musée repense son rapport à l’entreprise et la manière de l’intégrer à son environnement d’égal à égal, et non plus uniquement dans un rapport financier.