Le Quotidien de l'Art

Acteurs de l'art

L'extension de l’intermittence aux arts visuels, un nouveau combat fédérateur ? 

L'extension de l’intermittence aux arts visuels, un nouveau combat fédérateur ? 
Manifestation d'Art en Grève en février 2020.
Photo Fanny Schlichter/© Art en Grève/2021 Facebook/@ARTENGREVE.

Face à la précarité générée par la crise sanitaire, la nécessité pour les travailleurs de l'art de lutter pour une protection sociale plus robuste s’est fait sentir. Statut controversé, l’intermittence apparaît comme une solution de plus en plus attractive, surtout chez la jeune génération. 

Ils n’ont pas d’emploi permanent, vivent chaque mois de rémunérations fluctuantes, modestes et disposent d’une protection sociale minimum. Leur statut ? Auto-entrepreneur, artiste-auteur, stagiaire, étudiant ou demandeur d’emploi. Artistes, curateurs ou critiques, ces travailleurs de l’art ont été touchés de plein fouet par la crise sanitaire. La fermeture des lieux d’art et le ralentissement de l’activité ont fait exploser leur équilibre économique déjà très fragile et amené nombre d’entre elles et eux à se questionner sérieusement sur leur sort, et les façons de l’améliorer. Margot Nguyen, 27 ans, travailleuse dans le secteur culturel, estime qu’il faut « lutter pour un statut d'artiste-auteur digne et aligné sur les autres statuts des travailleurs et travailleuses de l'art et sur le régime de l’intermittence ». Ce dernier concerne les personnes ayant travaillé 507 heures sur une période de 12 mois et permet de les protéger face à l’irrégularité de l’activité professionnelle par des indemnisations. Généralisé dans les arts vivants (audiovisuel, cinéma, spectacle), le statut peine pourtant à exister dans le champ littéraire et dans celui des arts plastiques. Ces secteurs sont pourtant eux aussi caractérisés par une large discontinuité du travail et une généralisation de la rémunération à la tâche. « À la manifestation du 15 décembre 2020 à Bastille (contre la fermeture des lieux culturels, ndlr), j'ai eu un choc quand j'ai entendu sur l'estrade un intermittent du spectacle prendre la parole pour demander une seconde année blanche. Nous n'en avons pas eu de première… », poursuit Margot Nguyen, soulignant les écarts de politisation et l’inégalité de la Sécurité sociale entre le monde du spectacle et celui des arts visuels. « Je me suis demandé pourquoi nous étions si en retard, si ce retard était rattrapable et comment. » 

Dépendance au marché

Auteur de Notre condition. Essai sur le salaire au travail artistique (2020, Riot éditions), Aurélien Catin explique qu’historiquement, les statuts dans les arts visuels se sont construits autour de l’invisibilité du travail et de la primauté d’un « droit d’auteur abritant une vision individualiste ». « Dès le début du XXe siècle, les gens du spectacle se sont présentés en travailleurs – non en créateurs – et se sont organisés collectivement pour intégrer des dispositifs de nature salariale. » Les travailleurs des arts vivants sont ainsi protégés pour ne pas dépendre absolument du marché, comme c’est le cas dans les arts visuels. Aujourd’hui cependant, des voix commencent à s’élever et veulent rectifier le tir en étendant le régime de l’intermittence aux travailleurs de l’art et donc aux artistes-auteurs, aux indépendants et aux vacataires.

L’idée a commencé à être abordée il y a trois ans au sein du collectif La Buse, dont est membre Aurélien Catin. La crise sanitaire a accéléré le processus de circulation de la proposition, relayée notamment par Art en Grève, qui regroupe divers collectifs de travailleurs de la culture. Une tribune est publiée dans Libération en mai 2020 par de nombreuses personnalités de l’art et du monde littéraire, tandis qu'un groupe de travail planche sur un projet de loi dans ce sens au sein du Parti communiste. Le Syndicat des Travailleurs Artistes-Auteurs (STAA) est également créé pour répondre à ces enjeux. 

« La question résonne surtout chez les artistes de la jeune génération, particulièrement chez les 20-30 ans, conscients de l’impossibilité de vivre pleinement de leur art », explique Aurélien Catin, l’un des porteurs phares de cette idée. Radical de gauche, il milite également pour l’abaissement du seuil d’entrée de l’intermittence à 250 heures par an, puis à terme à zéro. Ce qui représenterait un coût non négligeable que l’auteur défend : « L’intermittence est présentée comme non viable au même titre qu’on présente les services publics ou la Sécurité sociale comme problématiques car prétendument déficitaires. » 

Trois solutions

Contacté par l’Hebdo du Quotidien de l’Art, le professeur en sociologie au Collège de France Pierre-Michel Menger planche lui aussi sur la question et présente trois positions possibles. La première, très généreuse et proche de celle d'Aurélien Catin, consiste à « accorder à tous les artistes auteurs une garantie de salaire pour dix ans ». « Cela a été tenté aux Pays-Bas dans les années 1980 et ça s’est arrêté, car le système s’est écroulé sous le coût de sa propre "générosité" », raconte le sociologue. Une seconde position viserait, elle, à « rapprocher la position des auteurs d’autres professions qui ont une activité créative, comme les chercheurs ». Et la dernière consiste à abolir le statut d’indépendant des auteurs et à les assimiler à des salariés. Ainsi les solutions à l’étude sont multiples, mais, en tout cas, le débat sur l'intermittence est lancé, et il sert les combats luttant pour un travail artistique rémunéré de manière juste.

Bannière « salaire à vie pour tous-tes » réalisée pour la manifestation du 1er mai 2020 par le collectif Art en Grève.
Bannière « salaire à vie pour tous-tes » réalisée pour la manifestation du 1er mai 2020 par le collectif Art en Grève.
© Art en Grève/2021 Facebook/@ARTENGREVE.
Manifestation d'Art en Grève en janvier 2021.
Manifestation d'Art en Grève en janvier 2021.
© Art en Grève/2021 Facebook/@ARTENGREVE.
« Pour une intermittence des arts et des lettres : une utopie concrète », tribune publiée sur le site liberation.fr.
« Pour une intermittence des arts et des lettres : une utopie concrète », tribune publiée sur le site liberation.fr.
© Libé 2020
Aurélien Catin.
Aurélien Catin.
D.R.
Pierre-Michel Menger.
Pierre-Michel Menger.
© Emmanuelle Marchadour.
Margot Nguyen.
Margot Nguyen.
Courtesy Margot Nguyen.

Article issu de l'édition N°2115