Si la nourriture a été le sujet de bien des natures mortes, le déjeuner celui de beaucoup de scènes de genres ; si Arcimboldo a peint de nombreux portraits fruités et si une banane scotchée au mur par Maurizio Cattelan fait ironiser le monde entier depuis quelques jours, l’apparition du comestible comme médium de la création plastique est assez récente. Communément appelé Eat Art, ce moment serait arrivé avec les premiers tableaux-pièges de Daniel Spoerri dans les années 1960. Le Nouveau Réalisme a rapidement intégré des objets récupérés – déchets, rebuts, nourriture, emballages… – dans ses compositions plastiques, mettant en avant le fait que l’art et la vie étaient liés. Plaçant l’acte de se nourrir au centre de ses réflexions artistiques, Daniel Spoerri a même, à maintes reprises, transformé des galeries en restaurants et publié des « romans de cuisine ». L’artiste Dorothée Selz l’a rencontré au début des années 1970 : « J’ai assisté à des repas colorés chez lui, se rappelle-t-elle. À l’époque, peu de revues ou de critiques d’art s’intéressaient aux liens entre l’art et la nourriture, à part Pierre Restany qui fut l’un des premiers à écrire sur le sujet. Daniel Spoerri réalisait des éditions d’œuvres d’artistes comestibles. Je me souviens qu’il avait fait un Pouce de César en bonbon. » Et de poursuivre : « Cela nous a forcés à reconsidérer ce que nous appelions les arts visuels. Les oeuvres d’art sont-elles vouées à vivre indéfiniment ? Comme avec le happening, l’avènement du Eat Art a bousculé cette idée pour mettre en avant celle de l’éphémère et du geste quotidien. »
Du spirituel dans l’art, et dans la nourriture en particulier
À l’inverse de la démarche de Daniel Spoerri qui voulait désacraliser l’art grâce au comestible, Dorothée Selz investit ses créations d’une dimension plus spirituelle. L’une des premières œuvres qu’elle réalise avec un matériau comestible est titrée le Croque-Jésus. « C’était en 1967, se remémore l’artiste. Avec Antoni Miralda nous avons collé un petit Jésus dans un dentier sur une boîte en rhodoïd. Ils sont en meringue industrielle, on en trouvait dans toutes les boulangeries à l’époque. Nous trouvions cela particulier que ce symbole religieux devienne une sorte de bonbon, de même que ces dents ! Assembler les deux était incongru, presque surréaliste. » Pour…