En 1989, l'économiste Francis Fukuyama prédisait la fin de l'histoire en annonçant « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain », concluant par ses propos un siècle construit sur des dogmes et des idéologies funestes. Et puis, le XXIè siècle, ses doutes, portés par les bouleversements climatiques et les diverses crises, ont douché les tenants d'une vision linéaire de l'histoire, plongeant la planète dans une humilité salvatrice… Notamment en architecture. « En France, on sort d'un siècle de fonctionnalisme d’État pour se retrouver dans une phase de transition, mais ce qui est sûr c'est que nulle part sur terre, nous n'irons vers du fonctionnalisme vert », estime Marie-Hélène Contal. La directrice du développement culturel à la Cité de l'Architecture mène depuis 15 ans une veille critique sur l'architecture contemporaine et les grandes transitions (écologiques, énergétiques, migratoires, urbaines…). Elle a créé le Global Award for Sustainable Architecture en 2006 avec sa consœur, l'architecte, chercheuse et professeure Jana Reverdin, qui récompense chaque année cinq architectes acteurs de l'architecture durable et pour lequel elle déniche une diversité de profils et de solutions en phase avec cette thématique. « Pas de fonctionnalisme vert ?, dit-elle. Cela veut dire qu'à un dogme dépassé ne doit pas succéder un nouveau dogme. » Pour les deux chercheuses, le monde va redevenir un archipel de solutions multiples en se basant sur un triptyque commun : la prise en compte du climat local, des usagers et des ressources en se plongeant dans les sciences humaines. Chaque année, leur prix récompense de nombreux architectes de pays « émergents » « L'urgence climatique les talonne plus que nous. Ils sont obligés de trouver des solutions et de se projeter. Ils ont davantage conscience des enjeux climatiques », détaille Marie-Hélène Contal. Parmi les derniers lauréats, l'architecte thaïlandais Boonserm Premthada qui réactive systématiquement l'artisanat des zones où il travaille. Ainsi, une briqueterie familiale a été rouverte en Thaïlande pour son projet de l'institut Kantana, une école de cinéma et d'animation en forme de tour qui semble danser dans la province de Nakhon Pathom.
Technologie embarquée
« Une grande diversité de points de vue s’affronte au sein des partisans de l’architecture durable. Sur l’écoconstruction, l’Australien Glenn Murcutt défend des constructions légères, touchant peu le sol. D’autres défendent une architecture de l’enracinement, de la pérennité », expliquait Marie-Hélène Contal dans les colonnes du journal La Croix en mai 2017. En France, la question urgente qui va animer les architectes est celle du bilan carbone puisque dès le mois de janvier, la réglementation mesurera l’empreinte carbone des constructions. Une question dont les architectes sont nombreux à s'être déjà emparés. « Il y a deux siècles, on construisait zéro carbone car on ne disposait d'aucune énergie fossile. Il est aujourd'hui indispensable de s'en inspirer et de le transposer dans un contexte contemporain. On s'est laissé embarqué dans les histoires de double flux et de triple vitrage mais cette technologie embarquée est catastrophique, cette dépense carbonée à la maintenance est une hérésie, enrage l'architecte Gilles Perraudin. J'essaie au maximum de m'appuyer sur des ressources locales qui ne nécessitent pas de transformation complexe. Hélas, nous nous sommes construits sur la force des lobbies qui ont toujours défendu une production industrielle de la construction. »
Et l’enjeu est de taille. Chaque année, en France le secteur du bâtiment produit 46 millions de tonnes de déchets. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), seuls 45 à 47 % de ces déchets sont aujourd’hui valorisés, loin des 70 % prévus… l'année prochaine. Ils pourraient être recyclés ou, mieux, réemployés. Pour Gilles Perraudin et une jeune génération d'architectes français, comme l'agence Encore Heureux, le recyclage des matériaux est un leurre, surtout le béton composé d'éléments qui ne sont plus aujourd'hui autorisés dans la construction. « Il m'arrive par exemple de réutiliser des pierres, comme ça a été le cas en Corse au musée du vin de Patrimonio », explique Gilles Perraudin. En Europe, les Pays-Bas et la Belgique ont développé de véritables marchés du réemploi et font aujourd’hui figure de leaders dans ce domaine. C'est aussi le cas à Chicago où l'entreprise Windy City Antique Brick Company récupère des briques sur des chantiers de démolition pour les réutiliser sur de nouveaux projets, allant d'une logique de déchets à une logique de ressources. Bien loin du dépôt du Boijmans Museum de Rotterdam, un bâtiment dessiné par Winy Maas et dont les miroirs qui sont en ce moment posés sur la façade ont été produits… en Chine pour des raisons de coûts, posant la question de l'intérêt du toit végétalisé planté sur le sommet de l'édifice.
À lire :
Sustainable design, vers une nouvelle éthique pour l'architecture et la ville, Marie-Hélène Contal et Jana Revedin, éditions Alternatives.