Le Quotidien de l'Art

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Avancer

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Couverture de l'Hebdo du 15 novembre 2019
Yasmine Gateau

On pourrait parler d’autre chose, penser que le mouvement #metoo a libéré la parole des femmes sur les humiliations subies et qu’elles bénéficient désormais d’une écoute planétaire. Mais le racisme n’est pas mort avec l’abolition de l’esclavage et le procès de Nuremberg n’a pas tourné la page de l’antisémitisme. Au-delà, pour le cinéma, reste la question de la survie des œuvres signées par des prédateurs, qu’il s’agisse de Roman Polanski ou de Christophe Ruggia. En art, comme hier avec les écrits de Céline, il est temps de se faire une religion sur le sort qu’on réserve à ces œuvres. 

Quelques semaines avant son vibrant témoignage à Mediapart – un long torrent de mots, précis, terribles, livrés sans pathos mais non sans passion –, l’actrice Adèle Haenel avait exigé non pas le retrait du dernier film de Polanski, programmé au festival de La Roche-sur-Yon, mais la tenue simultanée d’une conversation sur la différence entre l’homme et l’artiste et les violences faites aux femmes. Même si le sujet choisi par le réalisateur aux multiples plaintes, l'affaire Dreyfus, ressemble à un plaidoyer malsain pour son propre compte, cette œuvre comme toute autre mérite d’être regardée pour ce qu’elle est. 

En 2018, l’académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie avait ainsi décidé de garder sur ses murs une exposition de Chuck Close (accusé en 2017 par deux femmes de harcèlement sexuel). Mais conscient qu’on ne peut plus voir une œuvre de la même façon lorsque la réputation de l’homme est flétrie, le musée avait ajouté une exposition d’artistes femmes intitulée « Le monde de l’art que nous voulons ». Le débat, encore le débat, toujours le débat, mais pas le boycott : il n’existe pas d’alternative à ceux et celles qui souhaitent non seulement condamner les coupables lorsque leurs actes viennent à être révélés, mais faire avancer nos sociétés. 

Encore faut-il appeler un chat un chat. Rappelons-le à Jean de Loisy, patron de l’école des Beaux-Arts de Paris, où les affaires de harcèlement ont valu la tête de son précédent directeur, accusé de les avoir négligées. Interrogé le 8 novembre par Le Figaro sur cette question, sa réponse manquait à tout le moins de fermeté. « Comme dans toutes les universités, les relations entre étudiants et professeurs ne sont pas exemptes de passion. Dans les ateliers, il y a un principe de compagnonnage entre l’élève et son professeur, qui crée de l’autonomie mais également des relations de passion et de fascination, et qui ont engendré des complexités par le passé », a-t-il déclaré, avant de présenter la création d’une « cellule anti-harcèlement et des recours à des psychologues et des aides juridiques qui permettent aux étudiants de s’adresser à quelqu’un en cas d’inconfort ou de menace ». Plutôt que d’affirmer que « cette situation, qui a eu lieu dans le passé ici comme ailleurs, est aujourd’hui calmée », Jean de Loisy aurait été mieux inspiré de rappeler les sanctions prises et de fixer les principes : tolérance zéro. #metoo n’est pas un vieux débat. C’est un combat de tous les jours, dans le milieu de l’art aussi. 

Article issu de l'édition N°1832