Un si grand soleil – titre d’une série télé tournée à Montpellier – viendrait-il darder au-dessus de la métropole occitane ? Le 29 juin y est inauguré le MoCo, un nouvel espace d’art contemporain voué à présenter des collections privées et publiques du monde entier, au sein de l’hôtel de Montcalm. Coût de l’opération : 22 millions d’euros, pour une fréquentation estimée à 100 000 visiteurs annuels. Le MoCo, c’est aussi l’entité juridique qui pilote désormais l’hôtel de Montcalm, le centre d’art la Panacée et l’École des beaux-arts de la ville. Quelques mois plus tôt, en janvier, la Halle Tropisme a ouvert ses portes dans l’ancienne école d’infanterie du quartier Lepic. Bien qu’excentré – le tram ne le desservira qu’en 2024 –, cet espace de 4 000 m2 inspiré des tiers-lieux comme Matadero à Madrid offre des outils de production, des espaces de co-working, mais aussi une programmation culturelle plutôt foutraque. Directeur de ce site qui ambitionne de devenir d’ici 11 ans une cité créative, Vincent Cavaroc le dit sans ambages : « On est dans un élan qui nous galvanise. »
Cheval de bataille
Cet élan n’est pas nouveau. Le mérite en revient à Georges Frêche, maire aussi visionnaire que bravache. De 1977 à 2004, ce géant aux méthodes d’ogre a façonné sa ville à coup de grands chantiers : médiathèque, rénovation et extension du musée Fabre, création du Pavillon populaire mais aussi de festivals comme Montpellier Danse et Radio France… Concentrés dans un mouchoir de poche, ces équipements jouissent d’une aura nationale, voire internationale. Prenons le cas du musée Fabre. Avec ses 11 500 m2 et 300 000 visiteurs annuels, l’institution est l’une des mieux dotées de France, avec un budget d’acquisition de 400 000 euros abondé par la métropole, auxquels s’ajoutent les 300 000 euros de la fondation d’entreprise du musée Fabre.
Elu maire en 2004, le dissident PS Philippe Saurel s’inscrit dans les pas de son charismatique prédécesseur mort en 2010. Pour imprimer sa marque, il a fait de l’art contemporain son cheval de bataille. Georges Frêche avait déjà rêvé d’un grand musée d’art contemporain dans le quartier de Port Marianne. « C’était trop compliqué en raison des espaces. Il aurait fallu d’énormes réserves, qui très vite auraient été saturées », observe Michel Hilaire, directeur du musée Fabre. Et de préciser : « Un grand musée d’art contemporain reviendrait à disqualifier le musée Fabre, qui organise déjà depuis 2007 des expositions d’art contemporain. » Le conservateur le sait, un musée d’art ancien peut difficilement maintenir ou renouveler son public sans s’ouvrir à l’art d’aujourd’hui...
Le MoCo fera-t-il oublier la méthode Saurel, qui ne fait pas que des heureux ? Pour Benjamin Téoule, journaliste au site d’investigation Le D'Oc, le maire ignore la pédagogie, préférant la confrontation à la conciliation. Pour créer le MoCo, il n’a pas hésité à enterrer le projet de musée d’histoire de la France et de l’Algérie, sans concertation avec le comité scientifique chargé de le piloter. Sur son blog de campagne, le candidat Saurel s’y disait pourtant favorable, affirmant qu’« il n’y a rien de pire que le non-dit ». Or le sujet est politiquement casse-gueule dans une cité où 42 000 rapatriés français, mais aussi beaucoup d’Algériens ont pris souche après 1962. On le sait, il n’y a pas plus inflammable que la mémoire.
Concurrences
Dans la foulée, Philippe Saurel bouscule aussi l’orientation de la Panacée, initialement portée sur la culture numérique. « Un lieu d’arts numériques dans une ville sans centre d’art, c’était absurde », balaye Nicolas Bourriaud, directeur du MoCo. Sans centre d’art, c’est un peu vite dit. Avant d’être méchamment poussé à la démission par la mairie, Numa Hambursin n’avait pas démérité à la tête du Carré Saint-Anne, organisant de 2010 à 2017 des expositions d’Abdelkader Benchamma, Robert Combas ou Jonathan Meese… Depuis le lieu est tombé dans le giron du musée Fabre, qui ignore quelle en sera la vocation exacte au terme des longs et coûteux travaux engagés.
S’il espère « une synergie intelligente » avec le MoCo, Michel Hilaire redoute que ce projet n’assèche son budget, alors même qu’il réclame de nouveaux espaces pour ses réserves engorgées. Et de prévenir : « En cinq ans, un musée peut disparaître de la carte géographique si on n’y prend pas garde. » Patron du Pavillon populaire, Gilles Mora ne semble lui pas très inquiet. Son lieu est désormais bien installé sur l’échiquier de la photographie, avec une moyenne de 45 000 visiteurs par an, et son budget artistique de 550 000 euros n’a pas fléchi. « Je creuse mon sillon, sans m’occuper de ce qui se passe à côté », lâche l’ancien patron des Rencontres d’Arles. Quant à Emmanuel Latreille, directeur du Frac Occitanie, il applaudit des deux mains l’ouverture du MoCo. « C’est une bonne chose, Montpellier se dote enfin d’outils performants comme c’était déjà le cas pour la musique et la danse, avance-t-il. Si c’est une concurrence pour nous, c’est tant mieux ! Lorsque j’étais à Dijon (à la tête du Frac Bourgogne, ndlr), j’avais le Consortium face à moi. C’était motivant. Je préfère ça qu’un désert. »
Nicolas Bourriaud n’entend d’ailleurs pas s’arrêter en si bon chemin. Le voilà qui lorgne déjà sur le bâtiment mitoyen de l’hôtel de Montcalm pour agrandir le MoCo. Philippe Saurel veut quant à lui transformer l’ancien Couvent des Récollets, actuellement annexé par les archives, en un nouveau lieu d’expositions. « Je n’en ai pas encore parlé à Nicolas, souffle le maire. Il faut déjà le restaurer, on en a pour deux ou trois ans… » Si par coquetterie, ou stratégie, Philippe Saurel ne s’est pas encore déclaré candidat à sa reconduction en 2020, le maire est déjà en campagne.