Charlie Boisson (Salon de Montrouge 2016)
Corsets libérateurs
Le marché aux puces reste le lieu clé de l’esthétique surréaliste, parfaite illustration de la jonction d’objets incompatibles, tout aussi central dans leur géographie urbaine que l’a été le café dans la mise en scène des attitudes et l‘amplification des polémiques. Mais quel héritage peut-il subsister aujourd’hui d’un mouvement qui se proclamait l’expression d’un automatisme psychique réprimé par le rationalisme et la morale ? Si le travail de Charlie Boisson a souvent été associé aux procédés du surréalisme, il ne faudrait pas y voir une croyance dans un éventuel pouvoir libérateur du subconscient. Son vide-grenier à lui croise une attention aux qualités sociales des objets avec une dimension ritualisée du corps, du désir et de la sexualité. Plutôt qu’une libération par automatisme, on y trouve des corsets orthopédiques, des embauchoirs et des outils de mesure, évoquant l’action que ces objets exercent sur nous par contrainte et conditionnement. Les meubles peuvent ressembler à des cercueils, comme ce buffet qu’enfermerait une figure féminine, devenu boîte de magicien. Quand une langue apparaît associée à ce qui ressemble à un urinoir, elle se trouve menacée par l’aiguille d’un compas. Le fétichisme SM nous apprend que le plaisir et la douleur circulent ensemble. Charles Boisson élargit ce refus des oppositions binaires autant à l’association entre corps et machine (quand une machine à coudre désossée semble se regarder dans un miroir), entre humain et animal (l’anthropomorphisme est souvent associé à des formes renvoyant à des becs ou à des pattes), ou entre artisanal et technologique, faisant se pénétrer des écrans d’ordinateurs, des rabots de menuisier et des métiers à tisser. Plutôt que d'opposer deux pôles, multiplions les différences.
« Au ciel, sous terre, par tous les trous »
Jusqu’au 26 juin
L’Ahah, 4 cité Griset, 75011 Paris
lahah.fr
Charlotte Khouri (Salon de Montrouge 2019)
Théâtre d’objets en champ de bataille
Pour son installation « Investiture cœur d’argent », Charlotte Khouri propose des sièges-maquettes avec la forme de la tour et de l’arc de triomphe de La Défense. « C’est un quartier emblématique de l’ascension du tertiaire, avec ce son de claquement de talons qui m’évoque un royaume au service de la seigneurie du Moyen Age, souligne l’artiste, « une période de l’histoire où les femmes ont pu jouer d’autres rôles : il y a des chansonniers pour des femmes troubadours, que je vois comme les premières performeuses ». Sur une vidéo, l’artiste se mettra en scène en adoptant la parole et la posture de trois femmes (Jeanne Moreau, Nico et Mary Lou du film Chronique d’un été de Jean Rouch) afin de combattre les stéréotypes dont elles font l'objet. « L’interview télévisuelle a été un lieu de bataille pour l’affirmation des femmes sur le terrain des représentations, la cigarette utilisée comme une munition, jusqu’à la speakerine que je joue en costume d’escrime ». Ce rapport performatif à l’objet, qui lui donne le statut d’un personnage, traverse tout le travail de Charlotte Khouri : « J’imagine des objets avec une vie autonome, qui sont la contre-forme des gestes qui l’ont fabriquée, des fantômes qui enregistrent des informations même en notre absence ». Qu’elle imagine des installations-décors en forme de « théâtre-jardins » ou qu’elle mette des œuvres en hypnose pour leur dire de faire la guerre, son travail cherche à déjouer les hiérarchies entre le sujet et l'objet et les asymétries pour accéder à la parole.
« Le théâtre chez l’habitant / théâtre d’habitation », collaboration avec Anne Le Troter, programmé par le Théâtre de Nanterre-Amandiers, jusqu’au 30 juin.
Arthur Hoffner (Salon de Montrouge 2019)
Des fontaines d’apparat
Lauréat du prix ADAGP du dernier Salon de Montrouge, Arthur Hoffner (né en 1990) a suivi des études d’arts appliqués à l’école Boulle avant de devenir scénographe, et assistant de l’artiste Théo Mercier de 2009 à 2013. Exposé récemment à la Villa Noailles, Arthur Hoffner se considère néanmoins comme un « designer », et sa position témoigne des liens toujours plus ténus qui se tissent entre l’art actuel et des disciplines plus fonctionnelles. Ses « fontaines de table », réalisées lors d’une résidence à la Manufacture de céramique de Sèvres en 2018, apparaissent pourtant comme des objets fantaisistes et décoratifs, qui se prêtent davantage à une contemplation amusée des spectateurs qu’à un usage pratique ou domestique. « Je vois le design en termes de séduction », avance Hoffner, dont les sculptures entremêlent porcelaine de Sèvres, matériau luxueux (marbre), matière industrielle (mousse absorbante) et pièces utilitaires (tubes de laiton). Le tout constitue un système d’irrigation en circuit fermé, où l’eau des fontaines coule en continu, et confère aux fontaines une valeur acoustique, telle une œuvre sonore. « La fontaine pleure, urine, boit, jouit, le corps arrose, s’écoule, déborde », explique enfin Arthur Hoffner, comme si ses œuvres empruntant au design industriel se changeaient en un organisme animé par un fluide vital.
Exposition personnelle à la galerie de Sèvres
4, place André-Malraux, 75001 Paris
Jusqu'au 28 septembre
sevresciteceramique.fr
Texte publié dans le cadre du programme du suivi critique des artistes du Salon de Montrouge, avec le soutien de la Ville de Montrouge, du Conseil général des Hauts-de-Seine, du ministère de la Culture et de la Communication et de l'ADAGP.