Mai 1981. La gauche signe sa première arrivée au pouvoir sous la Ve République. Les ministères s’affairent pour lancer la décentralisation, dont le volet culturel est confié à Jack Lang, qui fait appel à l’ingénieur culturel Claude Mollard. « Deux méthodes étaient envisageables en ce qui concernait l'art contemporain, se souvient celui-ci. Soit on s’adressait aux musées, mais à cette époque ceux qui s’y intéressaient se comptaient sur les doigts d’une main, soit on imaginait des structures légères et autonomes. L’idée des Frac est venue du Fnac (Fonds national d'art contemporain, ndlr) : non pas un musée, mais un fonds qui pourrait se décider par lui-même.» Malgré les objections virulentes des institutions parisiennes, qui détiennent alors le monopole sur les acquisitions d’art actuel et reprochent le gaspillage d'argent donné à des « amateurs », les Frac, auxquels on donne pour missions de constituer des collections publiques d’art contemporain, de les diffuser auprès d'un large public et de formuler des méthodes de sensibilisation à la création, prennent rapidement racine. Plébiscités par les nouveaux élus en région, qui voient en eux un moyen d’affirmer l’identité de leur territoire, ils présentent dès 1986 une exposition-bilan favorable au Grand Palais. Quatre décennies plus tard, la vitalité des Frac ne se dément pas. Avec 57 000 œuvres, dont un tiers exposé chaque année, ils forment les collections publiques les plus diffusées de France et le troisième ensemble public d’art contemporain du pays – après le Centre national des arts plastiques et le musée national d'art moderne – tandis que quelques-uns de leurs trésors ont vu leur valeur marchande décuplée.
Enthousiasme et inconscience
Le flair des Frac se mesure aujourd’hui aux premières entrées dans une collection publique française (Luc Tuymans, Yto Barrada, Laure Prouvost), aux acquisitions auprès d’artistes qui n'avaient pas encore 35 ans (Cindy Sherman, Anri Sala, Urs Fischer) ou encore aux futurs prix Ricard ou Duchamp. « Ces acquisitions ne seraient plus possibles aujourd’hui », concède Claude Mollard. Et s'ils ont débuté loin de la parité, celle-ci n'est aujourd'hui plus très loin d'être respectée : en 2022 les femmes représentaient 41 % des artistes exposés et 54 % des acquisitions.
Le format expérimental et très libre des Frac explique leur succès. « Il y avait un enthousiasme, presque une inconscience. On trimballait des œuvres dans des conditions inimaginables aujourd’hui. Je me souviens d’un Hantaï dans des salles d’écoles…» , témoigne Sylvie Zavatta, directrice du Frac Basse-Normandie de 1986 à 2001 et du Frac Franche-Comté depuis 2005. La patrimonialisation et la (re)valorisation des collections suivent de fait celle de l’art contemporain dans sa globalité, les Frac tenant lieu de grands témoins. Au fil des décennies, les demandes d’œuvres sur le…