Quand, il y a presque dix ans, est sorti de l’imprimerie le premier numéro de la revue d’art féministe Pétunia - dont le noyau dur comprenait Dorothée Dupuis (directrice à l’époque de Triangle à Marseille), l’artiste Lili Reynaud-Dewar et la curatrice Valérie Chartrain -, la désignation « féministe » était encore suspecte dans le monde de l’art français. « Le livre majeur de la philosophe Judith Butler, Trouble dans le genre, venait d’être traduit, quinze ans après sa parution en 1990. Il mettait en évidence les injonctions normatives adressées aux sujets sexuels et permettait de penser une politique féministe sans le fondement d’une identité stable, se souvient Dorothée Dupuis. Or, en France, le modèle universaliste républicain ne permettait pas d’adresser la question des identités ». La jeune curatrice de poursuivre : « Pour nous, il était évident que le féminisme permettait de révéler les relations de pouvoir qui structurent le réel, rappelant qu’il n’y a pas d’ordre naturel. Il n’était pas question de le transformer en sujet mais d’en faire une méthodologie. La revue a été accueillie avec un mélange d’accusations de ghetto et de sourires polis : ”C’est un truc de femmes”. Sous-entendu : ce serait encore à nous de s’en charger, quand la question est structurelle ».
L’année 2007 avait été un point d’inflexion majeur dans l’histoire des expositions pour le débat autour du féminisme, avec « Wack! Art and the Feminist Revolution » au MOCA de Los Angeles et « Global Feminisms » au Brooklyn Museum. Dix ans après, « We Wanted a Revolution: Black Radical Women 1965-85 » au Brooklyn Museum encore, et « Radical Women: Latin American Art, 1960–1985 » au Hammer Museum de L.A. reconnaissaient un besoin d’angles plus spécifiques permettant d’être plus inclusifs. Dans ces expositions se trouvent mélangées les positions des féminismes de la différence (dit essentialiste ou biologisant) et de la déconstruction, remettant en question le binarisme féminin/masculin. En 2009, le Centre Pompidou s’est timidement essayé à une approche féministe avec « Elles », un accrochage des collections uniquement composé d’œuvres d’artistes femmes. Les accusations de réduction des artistes à leur genre avaient alors été d’une violence rare, et depuis le musée a fait marche arrière : en 2019, pas une seule femme ne fera l’objet d’une exposition historique importante. « L’exposition “Elles” de la commissaire Camille Morineau avait sûrement ses défauts, mais le Centre Pompidou peut la remercier d’avoir essayé de réduire la sous-représentation inadmissible des femmes dans sa collection : pour l’occasion elle a acheté à des prix très bas des œuvres majeures…