Avec ses Lettres de non-motivation envoyées par centaines à des entreprises dans les années 2000, l’artiste Julien Prévieux dressait avec humour un portrait de l’artiste en dilettante, rejetant sous n’importe quel prétexte le monde gris de l’entreprise et inversant ainsi le rapport de force entre employé potentiel et employeur. Aujourd’hui, alors que certaines stars du marché conduisent leur atelier comme une SARL, à l’autre bout du spectre, de jeunes créateurs s’organisent en associations mutualisant outils de production et ateliers, l’entreprise ne semble plus être ce modèle à exclure à tout prix. « Extension du domaine de la lutte », l’organisation capitalistique peut même être une source d’inspiration pour les artistes (lire notre article p. 12).
Pour beaucoup cependant, le monde du travail, avec ses horaires, ses codes, ses contraintes et ses objectifs, reste un repoussoir. C’est pourquoi la création en 2008 de la Biennale intitulée « les Ateliers de Rennes », fixant pour ses commissaires successifs le thème général « art et économie », pouvait sembler une gageure. Désormais détachée de cet impératif, elle initia lors des premières éditions de nombreuses résidences en entreprise : « Des expériences très fortes, parfois compliquées », confie son fondateur Bruno Caron, président du géant de l’agroalimentaire Norac, qui finance en grande partie l’événement. Relevant la « responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise », il ne voit pas de contradiction à ce qu’une grande entreprise finance une manifestation dont certaines œuvres affirment un propos à contre-courant et ne renierait pas « plus de désordre et de contestation dans les propositions des artistes », voyant dans l’art « une opportunité de changer son système de pensée ». Une intention hautement louable, que vient contredire de plein fouet la réalité sociale : au printemps 2018, le fabriquant de sandwiches Daunat, propriété de Norac, a été secoué par plusieurs semaines de grèves de ses salariés réclamant de meilleures conditions de travail et salariales.
Nouveaux territoires
C’est à ce principe de réalité que les artistes contemporains sont de plus en plus souvent invités à se confronter. Depuis une dizaine d’années, les résidences en entreprise se sont multipliées. Une forme de dialogue qui va au-delà de la simple opération de mécénat direct, consistant à commander ou acheter une œuvre à un artiste. À ce titre, le programme PACT(e), lancé par le Carreau du Temple à Paris, est l’une des têtes de proue, en France, dans la coordination de ces projets. Directrice générale de l’établissement municipal depuis 2015, Sandrina Martins y prolonge l’initiative des Ateliers de l’EuroMéditerranée qu’elle a lancée en 2009 à Marseille, programme d’une soixantaine de résidences organisées à l’occasion de…