C'est au tour cette année de Giuseppe Penone d'être invité à intervenir à Versailles. L'attention de l'artiste italien s'est focalisée sur les jardins. Il est sans doute l'un de ceux qui a le mieux su s'inscrire dans le domaine, refusant d'entrer frontalement en tension avec l'architecture, tournant le dos aussi à une forme de monumentalité pourtant recherchée par ses prédécesseurs. Arbres en bronze rehaussés d'or, parfois soutenant de pesants rocs, marbres d'où jaillissent des veines organiques : tout chez Penone parle du temps, des matériaux, d'une nature qu'il convient de toucher, de redécouvrir, de repenser, nous parlant finalement intimement de nous. Il nous présente son projet.
D. S. Comment avez vous réagi face aux espaces de Versailles ?
G. P. Je n'ai pas ressenti de peur particulière face à ce lieu. À la Venaria Reale, l'ancien palais baroque bâti par la dynastie de Savoie non loin de Turin, j'avais déjà eu l'occasion de montrer des oeuvres. Cela fonctionnait parfaitement. Ici, à Versailles, le problème était l'échelle, la manière dont une pièce pouvait tenir dans l'espace. En fait, tout s'est fait très vite. En une seule visite, j'ai imaginé l'exposition. Le lieu est tellement vaste que j'ai immédiatement pensé qu'il fallait concentrer les oeuvres et les placer plutôt à l'extérieur.
D. S. Pourquoi ce refus d'occuper le château lui-même ?
G. P. C'est un lieu impossible, compliqué. Il ne s'agit pas seulement des conditions de sécurité, draconiennes, mais surtout de ce que portent ces décors. Là, tu dois travailler par contraste sinon ton intervention reste invisible. Or, ce contraste doit fonctionner soit à partir de la dialectique du lieu - son histoire, son programme iconographique -, soit sur la forme même.
D. S. La forme même ?
G. P. Oui, il faudrait dans l'idéal n'y placer que des pièces à la géométrie pure. Ce qui ne me correspond pas. En même temps, sur les 22 oeuvres, 3 sont dans le château. En fait, ce qui m'intéressait surtout, ce sont les jeux de perspectives extérieures. L'axe majeur est une réalité qui dialogue directement avec l'architecture de la façade. L'autre réalité de ce jardin, ce sont les bosquets, lieux plus intimes, plus en dialogue avec la nature.
D. S. Les jardins à la française affirment une rationalisation de la nature, pliée aux désirs de l'homme. Or, toute votre pratique s'oppose à cette vision. Vous déployez un art qui révèle la nature, qui en dévoile les aspects concrets mais aussi magiques ou métaphoriques !
G. P. Effectivement, ces jardins affirment l'idée que l'homme contrôle la nature. Mais si vous faites attention, c'est une impossibilité. Chaque jour, une armée de jardinier doit tailler, tondre, prendre soin des parterres, ratisser… Mon intervention est une réponse à cela. Les deux premières oeuvres visibles sont Spazio di luce (2008) et Tra scorza et scorza (2003). La seconde est constituée d'un tronc éclaté, gigantesque, en bronze. Au centre pousse librement un arbre. Au naturel contrôlé par l'homme, j'oppose l'artificiel contrôlé par le naturel. La plupart des oeuvres en extérieur sont en bronze. Toutes sont basées sur la structure de l'arbre, sa forme, sa logique d'équilibre. Vous aurez compris que ce sont là aussi des soucis de sculpture.
D. S. Comment interpréter l'ensemble d'oeuvres en marbres (Anatomia, 2011) ?
G. P. C'est la seule pièce faite pour Versailles. J'ai pris des blocs que j'ai creusés afin d'en révéler les veines. C'était un peu une réponse à cette statuaire classique qui les entoure.
D. S. Les autres oeuvres n'ont-elles pas été conçues pour ici ?
G. P. Non, ce sont des pièces anciennes ou amorcées avant même mon invitation. Faire une création en fonction d'un lieu spécifique ne me convient pas. L'oeuvre doit garder son autonomie, son pouvoir de s'adapter à de nouveaux espaces. Ensuite, elle prend selon l'endroit, selon la façon de la présenter un intérêt plus ou moins fort. Pour Versailles, je voulais éviter de faire des monuments qui répondraient à l'autorité de l'architecture. J'ai donc sélectionné dans mes oeuvres récentes ce que je voulais. C'était d'autant plus facile qu'une disponibilité économique m'avait permis il y a trois ans de me lancer dans la réalisation de ces pièces imposantes. La seule chose que j'ai adaptée à Versailles, ce sont les systèmes de fixation au sol, tous assez complexes étant donné que les oeuvres pèsent souvent plusieurs tonnes.
D. S. Vous assumez donc tous les coûts de production ?
G. P. Oui, ce fut toujours le cas. Je n'ai jamais demandé à mes galeries, notamment à Marian Goodman, de m'aider économiquement. C'est aussi grâce à cela que l'exposition peut s'achever sur ce groupe dans le bosquet de l'Etoile.
D. S. Pouvez-vous l'évoquer ?
G. P. Cet espace clos mais visuellement ouvert me permettait plus de liberté. C'est comme une chambre. C'est aussi un eééndroit où les visiteurs peuvent s'arrêter, s'allonger sur l'herbe, réfléchir. Ici, je voulais que les gens s'interrogent sur la nature de l'art, sur la structure et la logique de ces oeuvres. Ce sont des pièces qui parlent d'équilibre, de la lumière comme puissance de vie, de la gravité, de la culture aussi et de la puissance des mythes. À chacun d'y percevoir ce qu'il recherche.
Propos recueillis par Damien Sausset
Penone Versailles, jusqu'au 30 octobre, Château de Versailles, Place d'Armes, 78000 Versailles, www.chateauversailles.fr