Elles connaissent leur heure de gloire pendant Art Unlimited, secteur unique au monde dans une foire inventé par Art Basel. Mais quel est le destin de ces oeuvres sans communes mesures qui font le pèlerinage dans cette Mecque du Big size ? L'investissement des galeries dans ces projets phares est-il rentable ? Si la crise de 2008 a un temps calmé le jeu, balayant l'épopée du Bouddha platiné de Murakami vendu en 2008 8 millions de dollars, la démesure semble à nouveau au goût du jour. En ouvrant cette section en 2000, Art Basel s'est montrée visionnaire, prédisant la baisse des coûts de production liée à la naissance des ateliers géants d'Asie, et surtout l'appétit croissant des méga-collectionneurs pour les oeuvres à grand spectacle. Dotées d'un fort impact visuel, ces pièces s'avèrent nécessaires pour remplir leurs immenses lieux d'exposition privés. Principale cible de la section, où les musées sont plus modestement actifs, cette élite de clients potentiels enrichit chaque année ses rangs de nouveaux gourmands. Pour les satisfaire, la section curatée pour la deuxième fois par le Suisse Gianni Jetzer passe de 62 à 79 propositions. Dans le sillage des Bernard Arnault et François Pinault, des Pinchuk de Kiev, de la collection Jumex de Mexico ou du collectionneur de Tasmanie David Walsh, de la Russe Dasha Zhukova, séduite à Art Unlimited par les 100 m2 de néons de Jason Rhoades, ou de la Rennie Collection de Vancouver (conquise par une installation vidéo de David Claerbout proposée en 2012 par Hauser & Wirth, Yvon Lambert et Micheline Szwajcer), viennent désormais s'ajouter Malais et Hongkongais, de nombreux Turcs, ou encore le Sino-Indonésien Budi Tek, acquéreur d'une installation de Fred Sandback à 500 000 dollars. « Art Unlimited est comme une foire mutante qui s'est adaptée à cette cible, mais on cite toujours les mêmes cinq ou six noms, des estomacs énormes, mais qui ne peuvent pas tout manger », tempère le Parisien Kamel Mennour, présent cette année avec quatre artistes en synergie avec d'autres galeries, et seul avec l'ultime oeuvre de Gina Pane, de 14 mètres de long. La plupart des galeries fidèles au secteur avouent ainsi vendre en moyenne entre un quart et un tiers de leurs pièces. Pour un François Pinault qui craque l'année passée pour la sublime installation à 3 millions de dollars de Rudolf Stingel, basée sur une photo de sa galeriste Paula Cooper, combien d'oeuvres restées sur le carreau ? Peu importe, rétorquent les galeristes parfois prêts à dépenser des fortunes en production. Art Unlimited s'avère un tremplin exceptionnel pour les artistes. Johann Koenig (Berlin) y a lancé en 2012 la jeune Alicja Kwade : des coûts de production conséquents, certes (50 000 euros pour une oeuvre vendue 150 000 euros), mais « un très bon investissement pour la carrière de l'artiste ». La berlinoise Isabella Bortolozzi l'a compris, elle qui compte cette année mettre sur orbite définitive le jeune Colombien Oscar Murillo, révélé par les Rubell. « Dans ce secteur très articulé, les oeuvres se servent les unes les autres, et elles ont une visibilité extraordinaire », résume Nathalie Obadia (Paris-Bruxelles), qui y a déjà rencontré le succès avec une sculpture de Rina Banerjee et espère cette année convaincre avec une installation de Jessica Stockholder datant de 2009 (avec Mitchell-Innes & Nash). « Art Unlimited permet surtout à une galerie de montrer comment elle accompagne ses artistes, son état d'esprit », prolonge Kamel Mennour. « C'est beaucoup d'énergie pour vendre peu, confirme Lorenzo Fiaschi de la galerie Continua (San Gimignano, Pékin, Le Moulin), qui présente cette année Chen Zhen, Antony Gormley, Kader Attia et Jorge Macchi. Mais ces oeuvres qui vous prennent dans leurs bras sont comme des portes ouvertes, les gens entrent dans l'univers de l'artiste et cela peut leur donner envie d'acquérir des pièces plus contenues. Nous avons aussi beaucoup de propositions de commandes in situ par des collectionneurs séduits par les propositions d'Art Unlimited ». Quant aux Bruxellois Meessen de Clercq, présents pour la première année avec une bibliothèque brûlée de Claudio Parmiggiani (1999), en conjonction avec Simon Lee (Londres), ils savent qu'Art Unlimited va leur permettre « de montrer le souffle animant de cette oeuvre qui, complètement isolée, dégagera son plein potentiel ». « Si cela peut attirer l'attention d'institutions américaines sur cet artiste essentiel qu'ils méconnaissent, tant mieux », espère Olivier Meessen, convaincu aussi de « l'audace de plus en plus importante des grands collectionneurs, à qui Art Unlimited permet d'acheter des oeuvres impossibles à acquérir sur un iPad ».