Le Quotidien de l'Art

Penchantes

Penchantes
Émilie Pitoiset, "Clone", 2023, fourrure, perruque, barrette, 78 x 43 x 15 cm.
© Photo Adèle Onnillon/Courtesy de l'artiste et Klemm’s, Berlin/Adagp, Paris 2025.

Voyeuses, cute, épuisées ou désirantes : les figures d’Émilie Pitoiset ont toutes un certain penchant. Inclinaison et inclination sont, pour ces corps devenus « monnaie vivante » [1], les deux faces d’une même pièce.

Un corps barre la route, celui d’un homme qui gît à même le sol d’une rue tokyoïte, endormi. Un autre s’affaisse, une femme cette fois, retenue dans sa chute par son partenaire de danse. L’angle formé par son corps défait et sa trajectoire dans l’espace sont soulignés de fines droites blanches. Au mur, des lettres noires s’étirent et composent à leur tour un réseau de lignes entrelacées. Depuis la fin des années 2000, la pratique d’Émilie Pitoiset se déploie sur un plan oblique. Instants de bascule, rapports d’ascendance et penchants pervers y dessinent un point de fuite : l’inclinaison comme motif et comme mouvement intérieur, en proie à la séduction mortifère de la gravité. Pour l’artiste dont le langage plastique se renouvelle au fil des années, embrassant des médiums et des esthétiques volontairement contrastées (de la partition à la sculpture sur métal en passant par l’assemblage surréaliste, la vidéo et la performance), l’oblique s’érige également en stratégie, cultivant dans la déviation des attendus une forme d’énigme. Car le geste oblique n’affiche pas clairement la direction dans laquelle il tend, le sens, la finalité et la temporalité du corpus d’œuvres auquel il donne lieu restent ouverts. Certaines pièces sont ainsi présentées « dans l’attente » d’être titrées, d’autres rejoindront des séries commencées des années auparavant. 

Il y a d’abord dans les travaux d’Émilie Pitoiset un phénomène d’inclinaison physique – observé, amplifié et recréé – des corps épuisés. Ancienne gymnaste aux agrès, l’artiste a elle-même fait l’expérience d’un corps aliéné par l’effort. À partir de 2009, elle commence à s’intéresser aux marathons de danse, qui, organisés pendant la Grande Dépression aux États-Unis, voyaient des couples danser jusqu’à l’effondrement afin de gagner quelques dollars. Sur des photographies d’époque, Émilie Pitoiset a tracé…

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Article issu de l'édition N°3068