Le Quotidien de l'Art

Acteurs de l'art

« Dans la culture, la formation au management n’est pas adaptée »

« Dans la culture, la formation au management n’est pas adaptée »
En finir avec les idées fausses sur le management dans la culture, de Thierry Teboul, Pascale Levet et Michel Barabel.
Editions de l’atelier.

« Création et management sont définitivement irréconciliables », « Le management est un vieux problème dans les institutions culturelles », « Les artistes ne savent pas gérer »... Au total, ce sont 43 « contrevérités » auxquelles les auteurs de l’ouvrage collectif En finir avec les idées fausses sur le management dans la culture ont décidé de s’attaquer. Rencontre avec deux de ses codirecteurs (avec Pascale Levet), Michel Barabel, professeur affilié à Sciences Po Executive Education, et Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas (Assurance-formation des activités du spectacle).

Pourquoi ce livre ?

Thierry Teboul : L’écriture de ce livre est partie de plusieurs constats. On observe que, dans le champ culturel, la médiatisation d’une absence de management est de plus en plus forte et que l’offre de formation en management n’est souvent pas adaptée aux gens qui y travaillent. Il y a aussi une prise de conscience du secteur lui-même : il faut agir, tenter de comprendre comment bien travailler ensemble.

Michel Barabel : J'ai aimé le projet que nous proposait Thierry Teboul, parce qu'on partait d'un diagnostic et d'une déconstruction des idées fausses, plutôt que de vouloir réinventer la roue, être innovant et, peut-être, raconter n'importe quoi. Notamment cette idée qui persiste, selon laquelle le management serait contraire à la création. C’est un vieux débat sur lequel travaillent des sociologues.

T.T. : Nous nous sommes aussi rendu compte que les milieux de la culture passaient leur temps à recevoir des leçons de management au lieu d’en donner. Pourtant, quand on regarde de près le travail autour des ressources humaines, il y est toujours question de talents, de créativité… Dans quel secteur, aujourd’hui, cette question de la créativité n’est-elle pas endémique ?

Pourquoi l’idée selon laquelle les milieux de la création et le management ne seraient pas compatibles persiste-t-elle ?

M.B. : Si on se fait potentiellement des idées fausses sur la culture, c'est que le champ est critiquable en tant que tel, parce que victime des modes. Chaque époque a son modèle idéal, valorisé par la critique du modèle précédent. Arrêtons d'opposer les styles de management, il faut combiner plusieurs registres. Et pour trouver les bonnes proportions, il faut une intelligence de situation, des équipes matures. Dans certains cas, la posture transactionnelle peut être préférable à la posture transformationnelle. C'est subtil, c'est un vrai métier : l'intelligence de situation, la capacité à avoir plusieurs registres, plusieurs expertises, à savoir quand faire totalement confiance et quand reprendre le gouvernail… Tout cela ça s’apprend. Et si manager est une intelligence de situation, on ne peut pas avoir les mêmes recettes dans le secteur de la culture que dans celui de l’entreprise privée. Même s'il y a plein de bonnes idées dont on peut s'inspirer dans chacun des secteurs.

Il faudrait donc, au niveau institutionnel, mieux former les managers et futurs managers du secteur culturel ?

M.B. : Oui, de vrais dispositifs de formation sont nécessaires au niveau des tutelles. Il faut prendre en compte les spécificités de la culture, le copier-coller n’est pas raisonnable. Cela commence un peu à arriver, comme à l’Institut national du patrimoine (qui forme les futurs conservateurs et restaurateurs du patrimoine, ndlr). Mais c’est encore trop confidentiel.

Vous parlez d’une plus importante médiatisation de l’absence de management dans le secteur culturel. Comment avoir une meilleure prévention des risques psychosociaux ?

M.B. : De plus en plus de personnes font part, notamment dans la presse, des situations très fragiles et précaires dans lesquelles elles se retrouvent au sein de structures culturelles, où le management est très mauvais. On observe un mouvement, actuellement, de mise en lumière des manquements managériaux des dirigeants de ces structures.

T.T. : D'ailleurs l'Hebdo du Quotidien de l'art a publié en mai dernier un article sur le suicide d’un responsable des expositions d’un musée (Vincent Honoré, dont la Sécurité sociale avait déterminé, après plusieurs mois d’enquête, que la mort était un « accident du travail », ndlr). Il y a beaucoup d’autres exemples, malheureusement. Pour moi, il s'agit aussi de montrer que le travail n’est pas que destructeur, qu’il peut être constructeur à condition d’en faire bouger le management. C’est d’ailleurs le prisme par lequel la troisième codirectrice de l’ouvrage, Pascale Levet, aborde ces questions : le travail peut aussi être le lieu d’une reconstruction.

Les artistes peuvent-ils être de bons managers ? Pourrait-on s’inspirer d’eux pour penser un management plus adapté au secteur ?

T.T. : Tel qu’on le perçoit, le travail plastique peut paraître très solitaire. Mais finalement, l'est-ce tant que ça ? Quelqu’un comme Jeff Koons, par exemple, ne travaille pas seul. Pourtant, on continue d’avoir du mal à concevoir qu’un artiste qui crée des œuvres travaille très souvent en groupe (comme le souligne la sociologue Brianne Dubois, ndlr) – alors que c’est largement le cas pour ceux qui sont reconnus internationalement. On conserve une image très romantique de l’artiste qui crée seul sous sa mansarde. Cette vision fait du mal à la manière dont on perçoit le monde du travail dans ce secteur très précis des arts visuels. On sous-estime le caractère ambidextre des artistes. On sous-estime leur capacité à bien s’entourer, à fixer les bons prix… En somme, à être de bons managers.

Thierry Teboul.
Thierry Teboul.
frederic REGLAIN / Alamy / Hemis.
Michel Barabel.
Michel Barabel.
DR.

Article issu de l'édition N°2993