À demi allongée sur une plateforme frangée rose vif installée dans les chics jardins de la Maison de l'Amérique latine, Nicole contemple sur un écran cathodique son reflet, qu'une caméra filme en direct. Montée sur de hauts escarpins, vêtue d'une tenue très légère, rose elle aussi, elle cherche le meilleur angle, retouche sa chevelure, de temps à autre envoie un baiser vers sa propre image. Programmée le 19 septembre dans le cadre de la nouvelle foire parisienne Mira consacrée à l'art latino-américain, la performance TV Buddha fait référence à celle de Nam June Paik. Mais la jeune femme, en pleine contemplation de sa beauté assumée, a remplacé la statue hiératique.
Artiste de performances dans lesquelles elle explore les conventions de la féminité, Nicole confiait quelques jours plus tôt : « Il est nécessaire de traduire les codes culturels latino-américains pour le public français. C'était déjà le cas en école d'art, où on me disait que mon travail était trop kitsch, qu'on n'allait pas me prendre au sérieux. » Nicole est arrivée en 2018 à Paris depuis Quito, en Équateur. Inspirée par un grand-père photographe qui a fait ses études dans la capitale française dans les années 1960, elle y intègre les Beaux-Arts, dont elle est sortie diplômée cette année avec la performance Rompe la piñata. Pratiquant d'abord l'autocensure, l'artiste reprend confiance et, dit-elle, « met les gens mal à l'aise ». Une réaction spécifiquement française ? « Ça ne passe pas forcément mieux en Amérique latine, où on juge cette esthétique comme celle des classes populaires », rétorque Nicole.
Abya Yala
La nécessité d'une forme de traduction culturelle revient régulièrement dans les témoignages des artistes, curateurs et curatrices latino-américains installés en France. Pourtant, leur présence à Paris, en particulier, ne date pas d'hier : Tarsila do Amaral, Wifredo Lam, Roberto Matta, Fernando Botero, Jesús Rafael Soto, Carlos Cruz-Diez, entre autres, y vécurent. Si la première a droit à une rétrospective cet automne au musée du Luxembourg, il y a eu encore peu de regards en France sur ces artistes, provenant de pays aux réalités économiques, politiques et sociales très diverses. L'expression « Amérique latine » elle-même, qui désigne la vaste entité géographique allant du Mexique à la pointe sud du Chili, ne met pas tout le monde d'accord. « Les termes ''Amérique latine'' restent une référence à l'Europe », note l'artiste-chercheuse brésilienne Fabiana Ex-Souza. Elle suggère celui, de plus en plus utilisé, d'Abya Yala, terme Kuna (peuple du Panama) proposé en 1992 lors d'un sommet entre tribus autochtones pour définir tout le continent.
Autre remarque, cette fois-ci de la curatrice Noelia Portela : ce contexte doit inclure les personnes issues des Caraïbes, tant hispanophones que francophones, pour lutter contre un suprémacisme blanc très marqué sur le continent vis-à-vis des afro-descendants et des autochtones. Distinguer une « scène » dans un monde globalisé et une capitale pluriculturelle comme Paris a-t-il même encore un sens ? « Le…