Paris, 16 mars 2024, place de la Bastille. À peine perceptibles aux passants, des pavés sont marqués des dates emblématiques de soulèvements qui ont jalonné l'histoire de France : 1789, 1848, 1871... Au pied de la colonne de Juillet et du Génie de la Liberté brandissant son flambeau, trois rubans bleu, violet et jaune viennent délimiter un triangle. En son centre, vêtue de noir, l'artiste franco-algérienne Dalila Dalléas Bouzar (dont on a pu voir l'installation « Vaisseau » au Palais de Tokyo à l'automne dernier), se peint le visage en blanc et rose, comme dans certains de ses autoportraits. Puis elle se ceint les hanches de bandes colorées, et allume un cylindre d'encens, une flûte accompagnant ce sommaire rituel de préparation. L'artiste ainsi parée plonge les pieds dans une bassine d'eau rougie aux colorants, et s'échappe du triangle. Ses empreintes sanglantes imprègnent la place des révolutions. Puis direction la République, qu'elle atteindra au bout d'une heure et demie. La performance, intitulée Le Sang des innocents, revisite (avec son accord) celle de Regina José Galindo, ¿Quién puede borrar las huellas? (Qui peut effacer les traces ?), réalisée en 2003 au Guatemala (avec du sang humain réel) pour dénoncer la candidature à l'élection présidentielle d'un dictateur militaire responsable d'un génocide. Cette fois-ci, ce sont les victimes des massacres de l'armée israélienne à Gaza dont Dalila Dalléas Bouzar a souhaité laisser symboliquement les traces dans l'espace public. « C'était spontané et très intense », raconte-t-elle. Bientôt exposée à la biennale de Dakar et à la Fondation H à Antananarivo, l'artiste dit croire que « le monde symbolique est performatif, il peut avoir un impact dans la réalité ». Elle ajoute : « Moi je ne vais pas prendre un micro et faire un discours, ça n'est pas mon mode d'expression. En tant qu'artiste, on peut agir depuis là où on est, avec son vocabulaire, et faire sens. »