Le jeu de regards le plus célèbre de Vélasquez, Les Ménines, attend comme à l'ordinaire les visiteurs au 1er étage du Prado. Il est possible pour la première fois d'observer son revers dont la copie parfaite, réalisée par l'artiste brésilien Vik Muniz ouvre l'exposition « Reversos », portant sur le verso des tableaux. L'indiscret à l'origine de cette mise en scène est Miguel Ángel Blanco, artiste et commissaire de l'exposition. Sous son impulsion, le Prado a entrepris une large investigation du dos des pièces de ses collections et a rassemblé à l'occasion quelques chefs-d'œuvre des grands musées, dont une sélection d’œuvres modernes et contemporaines (Helena Almeida, Tàpies, Miró, Pistoletto…). Le dos des Ménines ne révèle pas de secrets renversants — 6 340 fils de lin, des taches ou encore une pièce de métal des années 1920 — ce facsimilé en appelle davantage à une conception romantique de l'œuvre. Les accidents, repentirs, trompe-l'œil, mises en abyme, les pans ajoutés ou tronqués ou les annotations révèlent la présence de l'artiste en train de peindre et placent le regardeur dans une proximité tacite. Si la face des toiles a vocation à être préservée, leur face cachée, quant à elle, bouge et retrace le temps long (voyages, timbres légaux, réparations, étiquettes, tribulations). De l’autoportrait d’artiste au chevalet (Rubens, Goya) au trompe-l’œil (Francisco Gallardo) à la représentation à deux faces tantôt mystique (Dürer) ou grivoise (Martin van Meytens), en passant par le personnage représenté de dos qui interroge la position de celui qui regarde (Giandomenico Tiepolo, Sophie Calle) ou la croix du châssis évoquant celle du Christ (Anonyme français du XVIIe siècle L'Âme chrétienne accepte sa croix), l’exposition offre un panorama très complet culminant avec les livres-boîtes de la Bibliothèque de la forêt de Miguel Ángel Blanco (2020). Celle-ci conserve la poussière accumulée au dos de la Transfiguration du Seigneur de Giovanni Francesco Penni (1520-1528), copie grandeur nature du dernier tableau inachevé de Raphaël conservé au musées du Vatican.
« Reversos », musée du Prado, Madrid, jusqu'au 3 mars 2024.