Le Quotidien de l'Art

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L'art comme refuge : un regard sur la 4e biennale de Lagos

L'art comme refuge : un regard sur la 4e biennale de Lagos
Vue aérienne des pavillons de la biennale de Lagos février 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.

L'édition 2024 de la biennale de Lagos, qui s'est déroulée du 3 au 10 février au Nigeria, témoigne de la capacité de résistance qu’offre l'art dans une époque agitée par les guerres, les injustices sociales et les bouleversements économiques. Placée sous le commissariat conjoint de Folakunle Oshun et Kathryn Weir, cette biennale, symboliquement située sur la place Tafawa Balewa, s’est réapproprié un espace autrefois dédié aux célébrations de l'indépendance du Nigeria, qui fut également le lieu du mémorable FESTAC '77, seconde édition du festival mondial des Arts et Cultures noires africaines. Ce choix d’un lieu imprégné de son contexte historique a permis à la biennale d’approfondir une réflexion sur nos histoires communes pour mieux envisager un avenir ouvert à la connaissance et à la réconciliation.

Entremêler les revendications politiques

Dépassant les notions conventionnelles de l'art comme objet, dirigée par les artistes eux-mêmes, la biennale a privilégié les démarches processuelles, explorant les thèmes de l'architecture et de la transformation urbaine, de la surveillance numérique, ou encore de la construction des nations postcoloniales. À travers conférences, projections, performances et interventions diverses – des pavillons architecturaux aux installations immersives –, l’évènement a stimulé un réel sentiment d'appartenance, dans un espace offert à l’élaboration de nouvelles réalités. Parmi ces interventions, Traces of Ecstasy de KJ Abudu reliait entre elles la pensée africaine autochtone, les perspectives queer et les nouvelles technologies. Ce pavillon improvisé a réuni les artistes Nolan Oswald Dennis, Evan Ifekoya, Raymond Pinto, Temitayo Shonibare et Adeju Thompson/Lagos Space Program pour aborder les politiques et les tensions raciales, la sexualité, l'expérience diasporique et la culture Yoruba. S'inspirant des Afro-Asian Writers Conferences (AAWC), organisées de 1958 à 1979, la biennale présentait également un pavillon intitulé Albanian Conference, examinant les questions de corruption publique, de cybersurveillance et de sexisme au Nigeria. Cet événement fut un modèle de collaboration culturelle, entremêlant des revendications politiques de divers lieux dans le monde pour mieux amplifier toutes les voix marginalisées. La structure architecturale conçue par Endrit Marku présentait également des clips vidéo du groupe DNA (Blair et Clinton Opara).

Face à l'homogénéisation culturelle, la biennale de Lagos a ainsi représenté un effort collectif de solidarité et de résistance. Dans ce contexte, Em’kal Eyongakpa a dévoilé une installation multisensorielle immersive, composée de boîtes d’œufs et animée d’une série de sculptures cinétiques et de paysages sonores activés en direct. L'installation aux allures de grotte évoquait les notions de déplacement et de résistance des populations, avec les camps de réfugiés de l'État nigérian de Cross River pour toile de fond.

Parallèlement, l'installation textile collaborative signée Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti et Anto Lloveras interrogeait la gestion des déchets liés à l’industrie du vêtement. Soulignant l'interconnexion des économies mondiales et les préoccupations environnementales, cette pièce collective a été produite avec des textiles de seconde main du marché de Katangwa, à Lagos. L'installation a pris la forme d'une tente déployée aux portes de la place Tafawa Balewa, les visiteurs étant invités à participer à sa confection.

Culture d'expérimentation

La biennale de Lagos a également engagé le public à réfléchir sur la manière dont l'art peut activer les espaces publics, à travers des projets hors-les-murs et des œuvres de commande questionnant le fait religieux ou la spiritualité. L’installation multimédia Miracle Central de Victor Ehikhamenor a ainsi permis de réimaginer le site principal de la biennale comme un espace liminal où se côtoient le spirituel et le banal. Une installation comme un jeu sur la nature polyvalente de l’espace de la biennale, qui fut autant celui des révolutions, à l'occasion de grands événements nationaux, que celui du surnaturel, pour l'évangélisme pentecôtiste pratiqué lors de rassemblements de musique chrétienne. Au-delà de la place Tafawa Balewa, Uthman Wahaab a quant à lui transformé la galerie du musée national du Nigeria en un lieu protéiforme de guérison et de méditation. Le projet, résultat de l'observation à long terme de la pratique du soufisme dans la famille de l’artiste, est une interprétation artistique du concept islamique de khalwa (retraite intérieure, ndlr).

Alors que nous naviguons péniblement dans les complexités de l’époque, la biennale de Lagos 2024 a réaffirmé le rôle de l’art et de la créativité comme catalyseurs d’un changement social essentiel à la formation d’une nouvelle identité collective. L'événement incarne pleinement les aspirations d’un monde en mutation et interconnecté, par la manière dont les artistes de cette génération pensent l’avenir. Dans cet esprit, les mots de l'ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, dans son avant-propos pour le FESTAC ‘77, nous reviennent : « La culture demeure l'un des recours les plus importants vers la raison et l’évolution significative d’une nation. Elle a su maintes fois se révéler le moyen de renforcer l’amitié et la compréhension entre les peuples. Le Nigeria croit aux qualités modératrices et salvatrices de la culture pour apaiser, par l’échange, les tensions mondiales. »

Malgré une interruption d'un an, l’importance de la biennale reste primordiale en ce que l’événement renforce non seulement l’influence de la métropole de Lagos, mais encourage également une culture d'expérimentation et de liberté créative au sein de la communauté artistique locale. En réunissant des artistes, des chercheurs, des universitaires et des publics internationaux, elle soulève une question fondamentale : comment inciter les individus à se considérer comme les auteurs du récit de demain ?

Biennale de Lagos, place Tafawa Balewa, février 2024.
Biennale de Lagos, place Tafawa Balewa, février 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Em’kal Eyongakpa, Betok babhi, Babhi betandat, bassem 2022-2024.
Em’kal Eyongakpa, Betok babhi, Babhi betandat, bassem 2022-2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Outsiders (Martinka Bobrikova, Oscar de Carmen, María Alejandra Gatti, Anto Lloveras), re-(t)exHile, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Le pavillon Traces of Ectasy de KJ Abudu, Evan Ifekoya, Nolan Oswald Dennis, Raymond Pinto, Temitayo Shonibare et Adeju Thompson.
Le pavillon Traces of Ectasy de KJ Abudu, Evan Ifekoya, Nolan Oswald Dennis, Raymond Pinto, Temitayo Shonibare et Adeju Thompson.
Courtesy of Lagos Biennal.
Victor Ehikhamenor, Miracle central, 2024.
Victor Ehikhamenor, Miracle central, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Victor Ehikhamenor, Miracle central, 2024.
Victor Ehikhamenor, Miracle central, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
Yussef Agbo-Ola, AIRI: BONE ALTAR, 2024.
Yussef Agbo-Ola, AIRI: BONE ALTAR, 2024.
Courtesy of Lagos Biennal.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
Courtesy de l’artiste.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
Courtesy de l’artiste.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
L’installation d’Uthman Wahaab, Khalwa Room II, 2024 au musée national du Nigéria à Lagos.
Courtesy de l’artiste.

Article issu de l'édition N°2774