Il n'est pas rare, à propos des photographies sans appareil de Laure Tiberghien, de faire référence aux peintures de Mark Rothko ou de Barnett Newman [1]. Les œuvres de l'artiste, le plus souvent composées d'aplats colorés et de bandes ou lignes vibratoires, trouvent de fait des échos formels convaincants auprès de ces deux figures majeures de l'histoire de l'art américain. Laure Tiberghien elle-même a d'ailleurs réalisé quelques « zip », conçus comme les indices volontaires d'un tel rapprochement. Pour autant, il semble que son œuvre aurait à gagner à se défaire au moins temporairement de cette possible généalogie. D'abord parce que la question de l'abstraction n'est sans doute pas de celles qui comptent vraiment pour l'artiste. La présence de deux tirages figuratifs datant de 2018 sur le site de l'artiste, qui laissent transparaître ici un ciel (Ciba#1), ailleurs un feuillage (Acantes#1), sonnent à cet égard comme un avertissement adressé au regardeur : sans pour autant vouloir renouer avec un quelconque désir de représentation, Laure Tiberghien signale que les enjeux sont ailleurs.
Comme le laisse entendre Kathrin Schönegg à propos de l'abstraction photographique, ce serait se méprendre que de penser que les mêmes préoccupations modernistes que leurs aînés peintres traversent les artistes qui tendent actuellement vers l'expérimentation photographique [2]. Et ce serait se méprendre à l'égard du travail de Laure Tiberghien que de l'envisager comme repli sur les seules propriétés du médium, même si celles-ci sont essentielles à la réalisation de l'œuvre. Le fait qu'il s'agisse de photographie est crucial, certes, et nous éloigne du champ de la peinture, mais il s'agit de bien saisir la nature des rapports que l'artiste entretient avec…