Le Mucem, le musée du quai Branly, le Centre Pompidou-Metz, Paris Musées… De nombreuses institutions ont cédé à l’externalisation des fonctions dites « non-scientifiques », au premier rang desquelles celles des agents d’accueil et de surveillance, accentuant la précarisation de l’emploi au musée. « L’externalisation se base sur un principe d’économie budgétaire dans la gestion des ressources humaines. Or, elle a aussi un coût – arrêts maladie, remplacements... – que le bien-être au travail diminue significativement », explique Rachel Amalric, directrice des musées de Cahors. Parmi les chantiers qu'elle a mis en place en faveur du bien-être de ses employés, l’institution cadurcienne profite des deux mois de fermeture annuelle (à compter de l’automne) pour pousser la formation de ses agents d’accueil à d’autres responsabilités, telles que la gestion du logiciel de billetterie, de la boutique, de la diffusion numérique...
Cahors ne fait pas figure d’exception. Les fonctions des agents de surveillance se sont étoffées au fil du temps jusqu’à toucher presque tous les domaines de compétence du musée. Au château de Compiègne, la palette est large : communication (organiser l’affichage, gérer le logiciel de billetterie), logistique (préparer les privatisations, gérer la mise en lumière du parcours), nettoyage (cirer les parquets, laver les vitres ou les mises à distances), conservation préventive (nettoyage des lustres, dépoussiérage par micro-aspiration…), mais aussi sécurité incendie.
Multitâches
« Être polyvalent au service du patrimoine, c’est valorisant », explique Jason Morin, agent d’accueil du monument picard, comme ses parents avant lui. Et sa collègue Nicole Mouvielle de poursuivre : « C’était l’ancien temps quand, assis sur une chaise, nous étions interdits de parler aux visiteurs. Cela a commencé à changer dans les années 1990. Désormais, on a un vrai rôle de passeurs. Mais, tous les musées ne nous impliquent pas autant. Au Louvre nous ne nous occupions pas de ménage mais de sécurité et de sûreté, qui pour moi devrait être notre première fonction et inscrite dans notre intitulé de poste. En plus de nos formations dédiées, nous sommes aptes à recevoir les pompiers car nous connaissons parfaitement notre musée, ses parcours, ses accès… ».
« Donner plus de responsabilités à nos agents les implique encore plus dans la vie du musée, estime Rachel Amalric. Se sentant plus attachés au musée, leur rapport au public s’en ressent. » Cet intérêt porté à la qualité d’accueil du public se retrouve dans le discours de René Faure, président de la fédération française des sociétés d’amis de musée. Selon le Marseillais, « les amis de musées sont de plus en plus sollicités (ou acceptés) pour l’accueil, notamment pour les jours de gratuité, les premiers dimanches du mois. Non seulement cela permet aux musées de s’appuyer sur des bénévoles, face à des budgets insuffisants, mais surtout les amis proposent autre chose en matière de convivialité. Cette hospitalité est impossible pour un agent de surveillance extérieur, qui tourne d'un jour à l'autre d’un musée à une foire ou une boutique ».
Dans cette logique, la Maison Victor Hugo va encore plus loin et a fait de ses agents d’accueil des relais en matière de handicap. « Un agent sur deux est référent sur un type de handicap et formé en conséquence, explique Thierry Renaudin, administrateur de l’institution parisienne. Cela permet plus d’efficacité dans l’action et une reconnaissance trop peu offerte. Il faut faire évoluer le titre agent d’accueil, dont les missions vont bien au-delà. »
Manque de reconnaissance
« Je hais le terme de gardien, lance en écho Nicole Mouvielle, à Compiègne. Cela fait prison, sévère, ordinaire pour un musée. Les visiteurs et conservateurs pensent alors que nous ne sommes là que pour interdire, alors que c'est d'abord pour recevoir, informer, aider. Il est temps que le nom de notre métier change, en même temps que ses fonctions, pour que nous soyons mieux écoutés. » L’écoute : c'est probablement l’une des plus importantes pierres d’achoppement dans la hiérarchie normée des fonctions d’un musée. « Les conservateurs ne nous font pas confiance, souffle un agent du musée du Louvre. En cas d’évacuation, nous n’avons le droit de nous préoccuper que des visiteurs. Nous ne savons rien des œuvres à évacuer. Et en ce qui concerne des aspects plus anecdotiques, il n’y a pas plus d’écoute. On essaie de faire remonter les remarques des visiteurs, par exemple sur des cartels trop bas, trop petits… Personne ne nous écoute. » Il pointe également le manque de communication à leur adresse : « Combien de fois ai-je appris l’actualité du musée en lisant le journal, ou suite à une question d’un visiteur qui me faisait remarquer qu’une œuvre avait été déplacée sans que je sache pourquoi… »
Jeune dans la profession, Jason Morin reste confiant : « Les choses changent peu à peu, on parle de plus en plus avec les conservateurs lors des expositions temporaires. De plus, notre polyvalence permet de lutter contre l’externalisation de nos fonctions ». Quant à l’invasion des nouvelles technologies et la surveillance par caméra, il n’est pas inquiet. « La caméra c’est bien, mais quand on s’aperçoit d’un problème, le temps d’arriver sur place, il est déjà trop tard. Nous sommes irremplaçables. »