« C'est la première chose que les visiteurs regardent, et pourtant la dernière à laquelle pensent les commissaires… », note avec ironie un responsable de musée. Pourtant, les enquêtes de publics et les livres d'or des musées le prouvent : ces textes de médiation, qui déclinent l'identité de l'artiste, le titre et les matériaux de l'œuvre ainsi qu'un commentaire développant des informations hiérarchisées, ont une importance majeure dans l'accès aux œuvres. Gare donc aux cartels jargonneux, trop longs, trop courts, mal placés ou mal éclairés : si on peut choisir délibérément de les ignorer, d'eux dépend bien souvent la rencontre avec l'œuvre. On se souvient qu'en 2019 le parti pris de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition « Bacon en toutes lettres » au Centre Pompidou, avait été vivement critiqué : si le propos était de faire dialoguer les œuvres du peintre britannique avec ses inspirations littéraires, le choix délibéré de cartels sans texte avait laissé plus d'un visiteur sur sa faim. Quand les uns défendaient l'accès immédiat aux œuvres débarrassées de commentaires (les écrits des auteurs convoqués étant seulement lus dans l'exposition), les autres ont vu dans cette absence de contextualisation un certain snobisme de l'institution, partant du principe d'un public de « sachants » et ignorant le fait que les visiteurs ne viennent pas seulement regarder des œuvres mais collectivement lire des histoires, apprendre, développer leur perception.
Sur le site du réseau MuseumNext, la chercheuse Anna Faherty résume : « En seulement une phrase ou deux, un bon cartel donne au visiteur les outils nécessaires pour revenir vers l'objet et en tirer ses propres conclusions, qui seront autant influencées par les expériences uniques de chacun que par les mots du musée ». Un texte peut ouvrir des perspectives insoupçonnables à la seule vue de l'objet. Celui qu'on trouve au musée Carnavalet jouxtant une chaussure de femme est une vraie amorce de roman. « Soulier supposé de Marie-Antoinette, qui aurait été arraché le 10 août 1792 lors de la prise des Tuileries des mains d’un insurgé par M. d’Ennecey de Champuis, garde national »... Et c'est tout une scène qui surgit alors de ce précieux témoin de l'Histoire (taille 34 !). Développé, le cartel peut aussi bien expliquer l'iconographie de l'œuvre, la manière dont l'objet est parvenu au musée ou encore en donner des interprétations. Au Rijksmuseum d'Amsterdam, l'exposition « Slavery », en 2021, a été l'occasion pour le musée de faire son autocritique en dévoilant le passé esclavagiste de nombreux modèles et donateurs, et ainsi assumer le fait que ses richesses proviennent en partie de l'exploitation d'être humains : depuis, 77 cartels explicatifs ont été intégrés dans le parcours permanent.
Subjectifs et sensibles
Au Palais de Tokyo, Yoann Gourmel, commissaire de l'exposition « Vous les entendez ?» de Laura Lamiel (jusqu'au 10 septembre), a choisi…