Le quart de siècle qu'a célébré Art Paris ce weekend sous la voûte du Grand Palais éphémère s'est conclu avec un bilan satisfaisant : avec 81 857 visiteurs (19 % de plus qu'en 2022), le salon enregistre son record de fréquentation. Si le grand public y est pour beaucoup, le visitorat professionnel a également répondu présent avec une progression de + 15 % du nombre de collectionneurs et d'institutions par rapport à l'an dernier. Encore loin de la frénésie d'achat enregistrée cet automne lors de l'édition inaugurale de Paris+ par Art Basel, la foire affiche néanmoins des prix à la hausse. Si la majorité des ventes continuent à se faire dans une catégorie moyenne - le salon ne s'en cache pas, son accessibilité faisant partie de son identité -, les transactions plus élevées n'y sont désormais plus rares. Dès le premier jour, Templon annonçait avoir cédé une grande toile de Garouste à 160 000 euros et une œuvre de Kehinde Wiley à 300 000 euros. La galerie Mitterrand rapporte la vente d'un Niki de Saint Phalle à 150 000 euros, Clavé Fine Art celle d'une petite sculpture de Germaine Richier à 200 000 euros, Hélène Bailly celle d'un tableau d’Albert Marquet à 400 000 euros, et A&R Fleury plusieurs pièces entre 150 000 et 250 000 euros, dont une grande sculpture d'Alicia Penalba et deux Hans Hartung. Pour Richard Fleury, la montée en gamme des transactions s'explique notamment par un élan positif et un effet boule de neige suite au succès de Paris+ : « Nous avons conclu plusieurs ventes à des prix inhabituels pour Art Paris. Nous pensions que l'édition allait être compliquée par la situation socio-politique tendue des dernières semaines, mais il n'en est rien ! », indique-t-il. La grande majorité des acheteurs restent néanmoins friands d'œuvres à prix abordables, et sont plus frileux pour celles dépassant un certain seuil : « Les pièces au-dessus de 30 000 euros suscitent de l'intérêt, mais aussi un temps de réflexion plus long avant la conclusion certaine de l'achat », précise Magda Danysz. La catégorie des prix situés entre 10 000 et 30 000 euros enregistre de fait le plus grand nombre de ventes et des stands sold out : Derouillon avec Alexandre Benjamin Navet (7 000 à 40 000 euros), La Forest Divonne avec Vincent Bioulès (30 000 à 55 000 euros), Anne-Sarah Bénichou avec Yann Lacroix (9 000 euros pièce), l’Atelier 21 avec Nabil El Makhloufi (5 500 à 15 000 euros)... Notons également l'arrivée de nouvelles galeries, venues apporter de près (les Parisiennes Bigaignon, Muller et Anne-Laure Buffard, qui a fait un sold out avec 15 pièces vendues entre 800 et 15 000 euros) et d'un peu plus loin (la Coréenne Woong, la Chilienne AMS, la Libanaise Saleh Barakat, la Turque The Pill...) un vent de fraîcheur, et de nouveaux collectionneurs nationaux et internationaux.
Máté Dobokay
Galerie Bigaignon (Paris)
Une des jeunes stars de la scène hongroise, Máté Dobokay est un « artiste contemporain photosensible », comme le formule Thierry Bigaignon, qui définit en ces mêmes termes sa galerie. À mi-chemin entre art et photographie, ces œuvres en hommage à Simon Hantaï ont été réalisées à partir d'un papier photo docubrum, datant de l'ère soviétique et aujourd'hui introuvable. Particulièrement fin, il peut être exposé à la lumière puis minutieusement plié jusqu'à former une boule, qui après avoir été rapidement plongée dans le révélateur, se déploie délicatement en un motif abstrait de zones éclairées et ombragées. L'ensemble de la série (vendue à l'unité) a été cédé, comme la presque totalité du stand de la galerie. Pour sa première participation à Art Paris, elle repart avec une trentaine de ventes conclues, dont 28 à de nouveaux clients. J.dF.
Samuel Yal
Galerie Ariane C-Y (Paris)
C’est une histoire qui dure entre Samuel Yal et Ariane C-Y, qui participe pour la 4e fois à Art Paris. Premier artiste exposé par la galerie nomade en 2014, ses petites sculptures immaculées trônaient en divers endroits du stand, accrochées ou disposées à la façon d’une wunderkammer des temps modernes. L’une d’elles, vue l’an dernier au musée de l’Homme dans le cadre de l’exposition « Aux frontières de l’humain », assemblait une multitude d’empreintes corporelles en porcelaine, telle une créature aux mille yeux et bouches. L’artiste (né en 1982) se saisit de la mémoire de la peau comme réceptacle de notre vécu, où ridules et cicatrices figent les visages d’inconnus dans le temps, comme elles marquent son passage. Ariane C-Y, qui défend l’ultra-contemporain, présentait aussi Rosa Maria Unda Souki, Camille Brès, et Guillaume Castel. J.P.
Milène Sanchez
Galerie Claire Gastaud (Clermont-Ferrand, Paris)
Les tout jeunes artistes s’exposent aussi à Art Paris ! À 25 ans, Milène Sanchez fait ses premiers pas en foire chez Claire Gastaud, qui lui a consacré son premier solo show l’année dernière dans son espace de Clermont-Ferrand. Les toiles de cette diplômée de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne ont été vendues dès le vernissage, une belle surprise pour la galeriste, qui proposait aussi un superbe ensemble de grands formats d’Alain Josseau : « Il y a tout de suite eu de l’intérêt pour Milène, sans que les gens n’arrivent à déterminer si elle était une jeune artiste ou beaucoup plus âgée… Elle a quelque chose d’intemporel. » Sa technique de fine superposition de couches de peinture à l’essence de térébenthine, réminiscence de la minutie de Titien et Van Eyck, s’épanouit en motifs sériels penchant vers l’abstrait (ici les lustres) où le flou délicat côtoie l’obsession du jeu de lumière. J.P.
Sophie Ullrich
Galerie Nosbaum Reding (Luxembourg, Bruxelles)
Aux côtés de Thomas Arnolds, Barthélémy Toguo, Damien Deroubaix et Peter Zimmermann, les moyens et petits formats pop de Sophie Ullrich (née en 1990) ont su tirer leur épingle du jeu. À l’aise aussi bien avec la craie, la peinture à l’huile ou la bombe aérosol, qu’elle juxtapose à l’envi, la Suissesse basée à Düsseldorf s’inspire de la BD, particulièrement Tintin et Gaston Lagaffe, et de l’ironie caractéristique du pop art dans ses compositions. Corps sans tête et objets emblématiques de la culture de la consommation guident le regard vers des univers utopiques aux lignes inattendues. Enfant des années 1990, elle n’hésite pas non plus à puiser dans les objets virtuels et leur symbolique. Nosbaum Reding la présente actuellement dans « Trois à part », group show de son espace bruxellois, jusqu’au 13 mai prochain. J.P.
Allan Villavicencio
Galerie Mitterrand (Paris)
Sur son stand, Mitterrand avait misé sur une belle variété de noms et de pratiques : un Niki de Saint Phalle est ainsi parti aux alentours de 150 000 euros, un grand format de Raphaël Zarka pour environ 30 000 euros, des sculptures de Mamali Shafahi autour de 15 000 euros… Soucieuse de mettre en avant ses actualités, la galerie présentait aussi le Mexicain Allan Villavicencio (né en 1987), exposé pour la première fois en solo show en début d’année. Questionnant la perception intérieure du paysage, ses petites fenêtres font muter formes et couleurs en un tourbillon calme. Inspiré à la fois par l’environnement urbain et les photographies d’Issey Miyake, la statuaire grecque ou le travail de la peau par Michel-Ange, Allan Villavicencio sera prochainement exposé dans son pays natal, au Museo Experimental El Eco de Mexico, fondé par le sculpteur Mathias Goeritz. J.P.
Hassan Musa
Galerie Maïa Muller (Paris)
« À refaire ! », se réjouit Maïa Muller pour sa première participation à la foire. Sur son stand, les œuvres de la Franco-Gabonaise Myriam Mihindou côtoyaient celles du Soudanais Hassan Musa. Ces dernières, chatoyantes au premier regard, foisonnantes de détails, réinterprètent avec une élégante ironie et une percutante subversion les grandes peintures de l’histoire de l’art en les noyant dans un bain d’exotisme et d’actualité pour en faire des images politiques. D’après Ingres, d’après le Douanier Rousseau, d’après Cézanne, ces peintures à l’huile sur tissus imprimés ont été montrées en 2019 et en 2022 à la galerie. Sur le stand, c’est une belle pièce d’après Caravage et une autre d’après Gustave Doré qui ont trouvé preneur à 15 000 euros chacune. Dans cette dernière, la barque de Dante accoste tranquillement sur l’île de Lampedusa, devenue l’enfer des migrants. J.C.
Rakajoo
Galerie Danysz (Paris)
La galerie avait déjà présenté Rakajoo (alias Baye-Dam Cissé) à Art Paris en 2022, et cette année, l'engouement est particulièrement vif puisque les cinq œuvres disponibles ont été écoulées, ce qui a valu un réaccrochage. Sold out donc ! L'ambiance troublante de ses peintures où l'espace semble en déséquilibre et les personnes affublées de petits yeux s'imposent. Sa riche actualité a très certainement fini de convaincre les indécis : un solo show à venir au Palais de Tokyo et une participation à une exposition au Louvre-Lens en 2024. Cette édition est aussi un succès pour les autres artistes de la galerie : toutes les sculptures de Li Hongbo ont été vendues et l'installation de l’artiste tchèque Jan Kalab a été plus que remarquée, sorte de mobile multipliant les cercles peints à la bombe. Elle n'a pas été vendue, mais des discussions ont été lancées pour étudier une adaptation dans l'espace public. S.P.
Inès Longevial
Galerie Ketabi Bourdet (Paris)
Sur le stand de la jeune galerie Ketabi Bourdet, qui a récemment ouvert un espace passage Dauphine à Paris, le succès des toiles aux couleurs pâles et aux lignes simples d’Inès Longevial ne s’est pas démenti. La jeune artiste (née à Agen en 1990), dont le trait est reconnaissable à ces grands visages féminins aux yeux mélancoliques (en majorité des autoportraits), est l’archétype de la reconnaissance sur Instagram qui a rapidement débouché sur une réussite commerciale. Il faut dire que ses images aux lignes synthétiques, toutes similaires, qui ressemblent aux filtres des réseaux sociaux, sont parfaites pour le petit écran du smartphone. C’est une toile de grand format qui a séduit « un collectionneur nord-américain venu en personne sur la foire pour l’acheter », précise Charlotte Ketabi-Lebard, ajoutant que de nombreux nouveaux collectionneurs ont traversé son stand et que c’est de loin sa meilleure édition (pour sa troisième participation). J.C.
Evi Keller
Galerie Jeanne Bucher Jaeger (Paris, Lisbonne)
La collectionneuse, qui a acheté ce voile de Matière-Lumière (à gauche sur la photo), avait été bouleversée par les œuvres d'Evi Keller qui étaient exposées au domaine de Chaumont-sur-Loire en 2022. Présente sur le stand de la galerie dès l'ouverture de la foire le premier jour, à 10h, elle ne pouvait qu'être happée par les dernières créations de l'artiste allemande. Avec ces bleus célestes et aqueux, Evi Keller poursuit sa quête autour de l'incarnation et de la transmutation de la lumière dans la matière, d'où le nom de Matière-Lumière qui relie toutes ses œuvres. Ce voile ornera les murs d'un château du XVe siècle, avec le second voile acheté le jour même, ML-V-23-0321 (225 cm x 170 cm), à 42 000 euros (à droite sur la photo). Il s'agissait de la première vente de la galerie sur cette édition d'Art Paris. S.P.
Hans Hartung
Galerie A&R Fleury (Paris)
Aux côtés des sculptures d'Alicia Penalba et des toiles de Serge Poliakoff, Sam Francis et Miró, Alexandre et Richard Fleury ont mis à l'honneur avec deux alcôves jouxtées au stand deux grands noms de la décennie des années 1960 dans l'art moderne : Victor Vasarely, actuellement exposé dans leur galerie parisienne, et Hans Hartung, dont deux des toiles montrées ont trouvé preneurs. Datant de 1962, T1962-U43 « marque le début d'une nouvelle approche picturale - une gestuelle rapide, intense, en soustraction de matière avec les grattages, et l'utilisation de tout nouveaux matériaux comme le vinylique - qui représente une des décennies les plus importantes dans la carrière de Hartung », détaille Alexandre Fleury. L'œuvre a rejoint une collection privée française mais expatriée en Europe. J.dF.