Il est primordial pour un artiste de disposer d’un texte critique de qualité sur son travail. C'est le souhait d'encourager ce format d'écriture qui est à l'origine des bourses Ekphrasis, lancées par l'ADAGP en association avec l’AICA France et le Quotidien de l’Art : elles ont pour objet de mettre en relation 10 artistes avec autant de critiques. Les textes des 10 lauréats de cette troisième édition (dotés chacun de 2 000 euros, couvrant la rédaction du texte et sa traduction) sont publiés au long de l'année dans le Quotidien de l'Art, au rythme d'un par mois. Dans cette deuxième livraison de 2023, Véronique Godé se penche sur le travail d'Alix Delmas.
Jamais très éloigné de l’anthropologie domestique, son sujet n’est pas « l’actualité » mais l’universel. Son prisme, existentiel, met en scène l’expérimentation du corps et des espaces mais plutôt que de questionner nos usages dans un rapport frontal, Alix Delmas les décale, les filtre, les surexpose… comme pour nous en suggérer des points de fuites multiples. Deux corps humains face à face fomentent une étagère : ils ne se touchent pas mais sont connectés par l’équilibre fragile des livres, la culture, qui les relie. Delmas ne fait pas de portraits, elle met en scène un corps symbolique, une figure, une présence générique dont elle masque ou recouvre parfois même le visage. Elle expose un corps multiple dont on ne voit, par exemple, que les jambes nues dansant dans l’herbe la nuit (Bacchanales, 2008). Le corps objet, d’une femme roulée dans une penderie, ou bien qui s’y adosse vidée de son ressort, comme une montre molle (La chambre de Salzbourg, 2001). Cette dimension suggestive2 du corps ou de l’objet, frôlant l’ironie, jamais grotesque octroie à Alix Delmas, une place singulière entre les facéties débordantes d’Erwin Wurm et l’affirmation du doute de l’art designer Robert Stadler, qui questionne notre habitus jusque dans la mort : insolites au premier abord, les mises en scènes photographiques ou les sculptures d’Alix Delmas deviennent de plus en plus troublantes au fur et à mesure qu’on les observe : au-delà du cheminement cognitif, Il en émane une poésie inouïe, empreinte d’une certaine mélancolie.
Diplômée de l’école supérieure des Beaux-arts de Paris en 1988, Alix Delmas connaît ses…