« Combien tu gagnes ? » La question, la plupart du temps, passe mal – en France notamment. C'est d'autant plus le cas dans le milieu de l'art, où la précarité est très présente et l'opacité la règle. Pourtant, plus d'une centaine de personnes ont répondu à l'enquête que nous avons lancée ces dernières semaines sur les réseaux sociaux. « Enfin on parle de ce sujet ! » a été une réaction courante. Ce sont, on s'en doute, celles et ceux qui gagnent le moins qui ont le plus souvent répondu. Mais d'autres sources internes aux institutions ou au marché permettent aujourd'hui de dresser un état des lieux. Aux États-Unis, depuis plusieurs années, le sujet est plus ouvert : en 2019 un fichier révélait les salaires de contributeurs anonymes, tandis que depuis le 1er novembre à New York, une loi sur la transparence montre que les revenus de l'art y sont largement inférieurs au coût de la vie.
Là comme en France, la démultiplication des activités (liées à l'art ou non) est un facteur majeur pour s'en sortir financièrement. « On fait énormément de choses, et pour beaucoup de personnes différentes », fait remarquer une critique d'art. En 2021, elle a gagné en moyenne 2000 euros par mois (toutes les sommes sont exprimées en montant net, ndlr) : 900 euros comme enseignante (fonctionnaire) en école d'art, environ 400 euros pour des cours et conférences à droite à gauche, et 540 euros pour des textes, que viennent compléter 180 euros d'assurance chômage. Autre facteur de survie : le capital, notamment familial. « La génération d'avant ne s'intéressait pas vraiment aux salaires car beaucoup étaient issus de familles fortunées, fait remarquer un conservateur d'un musée national. Cela a longtemps été des métiers de privilégiés. » C'est le cas, minoritaire, d'un certain nombre d'artistes, notent plusieurs personnes interrogées : « Les héritages personnels permettent à certains, notamment celles et ceux qui habitent à Paris, d'être dans ce monde de l'art. C'est une question de classe ».
Les artistes sont les plus mal rémunérés
Les artistes sont ceux qui gagnent le moins grâce à l'art. En 2020, le rapport Racine indiquait que leur revenu global moyen (incluant d'autres activités que l'art) était d'environ 1476 euros par mois (à titre de comparaison, le SMIC est aujourd'hui fixé à 1329 euros). Face à cette aberration, ils et elles s'organisent depuis plusieurs années pour revendiquer une meilleure rémunération. Sur Instagram, Robyn Chien développe : en 2021, elle a touché en moyenne 617 euros par mois, dont 91 euros grâce à son activité artistique et 513 euros d'aides sociales. Un artiste, représenté par une galerie parisienne et récemment nommé au prix Ricard, confie toucher en moyenne 2000 euros par mois (un tiers en ventes, un autre en droits d'exposition et le dernier en workshops).
Pour ces ultra précaires, chaque année est différente en termes de revenus : « Cela peut aller du simple au double », confie l'un d'eux. Les coûts de production, notamment, grèvent souvent les bénéfices : « Pour l'année 2021, mes recettes étaient d'environ 40 000 euros, mais, entre les charges, les frais de déplacement et de production, mon bénéfice a été de 7717 euros seulement. J'ai vendu des œuvres pour 7000 euros, mais je n'ai pas encore été payé par les collectionneurs. Pour compléter je touche l'aide personnalisée au logement (APL) ». Pour beaucoup, les aides sociales couplées à une activité de professeur en école d'art (rétribuée de 1700 à 3000 euros en fin de carrière) ou à un emploi non lié à l'activité artistique, représentent une grande part, voire la majorité des revenus. Une artiste d'une quarantaine d'années, qui a bénéficié d'expositions personnelles dans des centres d'art en France,…