« De Banksy à Miss Tic » est le sous-titre de l’exposition « Capitale(s) » qui s’installera à l’Hôtel de Ville de Paris, à partir du 15 octobre. Un homme, une femme. La promesse de parité n’est pourtant pas tenue. Même constat du côté de l’Urban Week : sur 15 street artistes invités, le festival d’art urbain de la rentrée n’a accueilli que trois femmes. « Nous sommes très peu nombreuses dans ce genre d’événements », s’insurge l’artiste Kashink qui a été choisie pour participer à la grande exposition organisée à la mairie de Paris. Miss Tic, décédée au printemps dernier, serait-elle devenue la bonne conscience d’un milieu ayant encore bien du mal à se définir au féminin ? Speedy Graphito, Seth, Banksy, Invader, Nemo, Jef Aérosol… Le monde du street art regorge de figures masculines incontournables qui se sont fait une place sur le marché de l’art. C’est à eux qu’on pense pour les expositions, les festivals et autres interventions dans l’espace public, comme dans le 13e arrondissement de Paris.
En tout état de cause, la place des femmes est réduite à la portion congrue… sauf lorsqu’il s’agit d’événements 100 % féminins. Le 8 mars 2022, MissMe, Céline Achour, Anna Conda, Delphine Delas et quelques autres artistes ont ainsi été invitées à peindre un mur de la Butte aux Cailles dans le cadre du Colors Festival, pour fêter la journée internationale des droits des femmes. Signalons aussi l’exposition « EssentiELLES », à la galerie Lithium à Paris au printemps dernier, organisée par l’association ART’MURS dans la foulée de « L’art urbain au féminin », au centre d’art Jean-Pierre Jouffroy de Bonneuil-sur-Marne. « Ce n’est pas normal qu’on soit obligé de monter des événements dédiés aux femmes pour qu’on puisse en voir ! », dénonce Agathae Montecinos, directrice de production et directrice artistique. Reste à savoir pourquoi la légitimité est si difficile à gagner quand on est une femme, a fortiori dans l’art urbain. Misogynie du milieu ? Autocensure parmi celles qui œuvrent dans l’ombre ? Manque de volonté chez les décisionnaires ?
Des préjugés tenaces
« Comment sont les graffeurs, pas trop machos ? » À cette question qu’on lui pose en boucle depuis qu’elle a commencé à peindre des murs en 2006, Kashink a l’habitude de répondre que « ce sont les galeristes, les maisons de vente aux enchères, les collectionneurs, les institutions qui donnent le la ». Mais quand on interroge les structures sur les raisons qui les poussent à inviter autant d’hommes, ce sont sans cesse les mêmes idées qui reviennent. Les femmes seraient une denrée rare dans ce milieu essentiellement masculin. « L’argument des organisateurs selon lesquels le manque de parité s'explique par l’absence de candidates ne tient pas. Ils ne cherchent pas bien loin… Il suffirait qu’ils élargissent leur réseau ! », affirme Alexandra Parrish, chargée de production.
Encore faut-il dépasser l’image d’un art réservé aux hommes qui se nourrit non seulement de l’histoire du graffiti marquée par l’activité des hommes, mais aussi de préjugés sexistes. À commencer par l’éternelle suspicion de fragilité attachée à la féminité : « On m’a déjà répondu qu’on n’allait pas inviter des femmes à un événement qui se déroulait en hiver, parce qu’il allait faire froid ! », déplore Agathae Montecinos. Laquelle incrimine également la place des femmes dans l’espace public : « Il y a l’idée que la rue est un endroit dangereux où il faut être prête à sauter, grimper, etc. Est-ce qu’elles y sont bien vues ? Est-ce qu’elles s’y sentent à l’aise ? C’est toutes ces questions qu’il faut se poser ». Et de relater le quotidien de celles qui s’affranchissent de ces contraintes : « Lorsque Bruna Vettori, une artiste brésilienne, a peint le mur de L’Âge d’or, un restaurant du 13e arrondissement, les hommes qui passaient par là faisaient sans arrêt des petites blagues, des remarques… Quand tu es harcelée H24, il faut du courage pour être à la vue des autres ».
Surtout quand s’ajoute à cela un sentiment d’illégitimité ou des freins à plaider sa cause : « Les artistes qui me sollicitent par mail ou Instagram sont à 90% des hommes. Les femmes osent moins revendiquer, si bien que quand on veut avoir une programmation équitable, il faut s’en donner les moyens », insiste Agathae Montecinos. Elle a assuré le commissariat d’une exposition intitulée « Les Amazones » au centre d’art urbain Fluctuart, à Paris, préfigurant la tenue d’un autre événement pensé sous le signe de l’égalité, « Urbain]]>es », présenté à la Condition publique de Roubaix jusqu’en juillet dernier. Elle témoigne : « La plupart de celles avec lesquelles j’ai travaillé, c’est moi qui suis allée les chercher ! »