Pendant de longues années, une règle tacite voulait que l'art soit jugé séparément de l'artiste – généralement, un homme. Mais cette règle tend aujourd’hui à être obsolète. Depuis 2018, dans le sillage du mouvement #MeToo, l’attention a été attirée sur les artistes agresseurs et ébranlé l’héritage de quelques plasticiens célèbres, de Chuck Close (lire l'article p.18) à Jan Fabre. Et d’aucuns de se poser la question : que faire des œuvres d’artistes condamnés pour agressions, violences et viols ? Quel est le statut des travaux de ceux qui, accusés, n’ont pas encore été jugés et donc restent présumés innocents ? Est-il moralement admissible d'exposer ou vendre les œuvres d’un artiste comme Otto Mühl, condamné à sept ans de prison pour viol et violences sur mineurs ?
La question est épineuse et met les institutions et galeries dans l’embarras. Lorsque nous avons demandé à interroger le musée des Abattoirs de Toulouse au sujet du sort des trois œuvres qu'il possède de Claude Lévêque – visé par une plainte pour « viols sur mineur » déposée en 2019 par le sculpteur Laurent Faulon pour des faits remontant aux années 1980 –, il fut impossible aux équipes de « trouver un interlocuteur sur le sujet en si peu de temps ». Même réponse au musée national d’art moderne-Centre Pompidou. Quand nous avons proposé de prolonger notre deadline, nos emails sont restés lettres mortes. D’autres institutions, privées comme publiques, n’ont quant à elles pas daigné répondre. Et pour cause, le sujet divise et encombre le milieu de l’art.
Dans l’espace public, l’embarras des municipalités
En janvier 2021, alors que les enquêtes du Monde et de Mediapart révèlent l’ampleur des accusations dont fait l’objet l’artiste Claude Lévêque – toujours présumé innocent –, c’est le branle-bas de combat dans les municipalités qui exposent une œuvre du plasticien dans l'espace public. Quelques jours après ces publications, des agents de la municipalité de Montreuil éteignent le néon Modern Dance, inauguré en octobre 2015 sur le château d’eau du quartier de Bel-Air. Même chose à Montrouge, qui avait retiré l'œuvre du plasticien de son beffroi, tandis qu’au pont d'Issy-les-Moulineaux, Les Dessous chics sont toujours visibles. Mais revenons à Montreuil : dans un courrier en date du 9 mars 2022, la mairie annonçait qu’elle avait pris la décision d’allumer à nouveau l’œuvre de Claude Lévêque. La raison ? La mobilisation des habitants et habitantes du quartier pour lesquels cette installation était devenue un point de repère dans la ville. Et la municipalité d’indiquer que le rallumage devrait s’accompagner d'« un temps d’échange et de sensibilisation sur les violences faites aux enfants ». Par ailleurs, la mairie doit contractuellement entretenir Modern Dance pendant 25 ans. Contactées, les équipes de la ville n’ont pas souhaité répondre à nos « sollicitations sur le sujet qui, à (leur) connaissance, ne connaît pas à ce jour de nouveaux développements ».
Séparer l’homme de l’artiste ?
En octobre 2016, l’animatrice Flavie Flament publiait La Consolation et y racontait comment un célèbre photographe l’avait agressée sexuellement lors de séances photo, à la…