« L'énigme autodidacte » : tel est le titre d'une exposition, présentée à l'hiver 2021, au musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne. Quel est-il en effet, cet artiste qui aurait appris tout seul ? Comment parvenir à ce degré d'émancipation, énoncé par Antonin Artaud : « Je n'ai rien étudié, mais tout vécu et cela m’a appris quelque chose » ? Dans l'histoire de l'art moderne, les exemples sont nombreux, avec comme figure fondatrice Marcel Duchamp, qui bouleversa la définition de l'art. À sa suite, d'autres autodidactes furent des modèles de rupture : Jean Dubuffet, Yves Klein, Robert Filliou valorisèrent l'auto-apprentissage au contact de la vie. L'art, alors, n'est plus réservé à une élite « éduquée », il surgit d'une relation intense à l'environnement, au monde observé, virant parfois à l'obsession, comme les artistes sans maîtres de l'« art brut ». Pour elles et eux, il s'agit souvent, au départ, autant de se relier à soi, « se créer soi-même » comme le dit Filliou, que de créer pour les autres.
Dans une remarquable exposition au Centre Pompidou-Metz, « L'art d'apprendre, une école des créateurs » (jusqu'au 29 août), la commissaire Hélène Meisel démontre comment, à partir des années 1960, certaines pratiques permettent « autant de se former en matière d'art que d'affiner sa pratique de la vie elle-même, en aiguisant sa sensibilité poétique et empathique ». Alors que les sciences sociales prennent de l'importance dans les écoles d'art, les artistes deviennent autodidactes dans d'autres domaines – histoire, sociologie, politique, physique, archéologie... Naît alors la figure de l'artiste-chercheur, qui n'est plus seulement dans la production d'objets.
Une tendance qu'on retrouve aujourd'hui dans l'interdisciplinarité des pratiques et l'esthétique des luttes, visible dans les grands événements actuels, de la documenta de Cassel à la Biennale de Berlin. Intégrant les savoirs vernaculaires et autobiographiques, l'art abandonne la hiérarchisation et la verticalité du rapport maître à élève. « De là naissent de nouvelles formes, explique Hélène Meisel. Des formes non-définitives, manipulables, des objets à discuter dans un processus de jeu, de réécriture, des lieux à occuper. On n'est plus dans la recherche du chef-d'œuvre. Ces formes ouvertes doivent aussi permettre d'échapper au marché. » Stade ultime d'autodidaxie, l'intelligence artificielle et les machines apprenantes sont à leur tour de plus en plus explorées par les artistes.
Un changement de regard
Si les artistes autodidactes sont nombreux dans la génération d'après-guerre – Ceija Stojka, Carol Rama, Christian Boltanski, Jean-Michel Sanejouand, Gaston Chaissac et de…