Décryptage / institution
« On est à mi-chemin entre une école de commerce et un enseignement type École du Louvre, explique d’emblée Nicolas Laugero-Lasserre, directeur de l'ICART, école du management de la culture et du marché de l’art. Du moins, nous tendons vers l’enseignement théorique, afin de donner une vraie ossature intellectuelle à nos élèves tout en leur délivrant les outils vitaux pour travailler dans l’industrie de la culture. » Enjoué, il énumère les outils en question : marketing, communication, management… des éléments concrets en lien « avec les besoins réels du terrain ».
C’est précisément cet apprentissage que Julie, employée désormais dans une galerie d’art internationale, est venue chercher en s’inscrivant il y a une quinzaine d’années dans une école concurrente, l’EAC (École d’art et de culture). « Après deux ans de droit, je me suis rendue compte que ça ne me convenait pas, raconte la jeune femme. J’ai tapé ''art + école de commerce'' sur Google et ce fut le premier résultat. » Elle y est restée cinq ans, au bout desquels elle était « capable de travailler dans le milieu ». Et de détailler : « J’ai suivi le mastère 2 avec la spécialisation art contemporain, au cours duquel on m’a enseigné à gérer une collection, travailler avec un estate ou encore monter une entreprise. J’avais des cours de gestion et de fiscalité en lien avec les œuvres d’art et je savais faire un bilan comptable ».
Arrivé en mastère à l’IESA (Institut d'études supérieures des arts), Arthur avait une légère appréhension de quitter le public. Finalement, il a trouvé l’enseignement « de bon niveau ». Comme Julie, Arthur s’est inscrit à l’IESA car il cherchait « une formation plus concrète et professionnalisante » que celle qu’il avait eue à l’université. Les plages horaires réservées aux stages et alternances pèsent dans la balance, aux dires de la plupart des élèves, là où l’université ou l’École du Louvre n’en aménagent que peu, voire pas du tout. Mona a décidé de s’inscrire à l'ICART « pour le côté touche-à-tout de la formation et la possibilité de faire beaucoup de stages ». Boris Grebille, directeur de l’IESA, confirme : « L’une des spécificités de la formation proposée, ce sont les alternances. Et cela fonctionne plutôt bien pour nos étudiants puisqu’en deux ans nous sommes passés d’une cinquantaine de contrats d’apprentissage à 300. On s'engage à former nos étudiants au plus près de la demande du marché de l'emploi ». Comme lui, Amélie Canivet, directrice de l'EAC (qui appartient au groupe AD éducation depuis 2016) affirme elle aussi que « la professionnalisation fait partie de l'identité de l'école ».
Un mastère n'est pas un master
Professionnalisation, apprentissage, formation, compétences... Tels semblent être les maîtres mots de ces écoles privées. Et pour cause : elles dépendent du ministère du Travail ou de la Culture, et non de l'Éducation nationale, comme l'université ou certaines écoles de commerce proposant des masters spécialisés. « Après mon bachelor à l'EAC, j'ai souhaité m'inscrire en master 1 à l'université, se souvient Julie. Je me suis rendue compte qu'il n'y avait pas de passerelle ou d'équivalence possible. J'ai donc intégré le mastère de l'école. » Et elle n'est pas la seule ancienne étudiante à avoir découvert la nuance au cours de ses études : « C'est impossible de reprendre des études d'histoire de l'art à la fac en France après un bachelor à l'EAC, réagit quant à elle June. Mon dossier n'a pas été accepté, mais j'ai pu poursuivre mes études dans une université allemande. »
Amélie Canivet confirme que les « passerelles avec l'université dépendent de la politique de celle-ci ». Les formations de l'IESA, de l'EAC et de l'ICART ont reçu une certification délivrée par France Compétence. Sur le site de l'IESA, on lit que « tous les titres délivrés par l'école sont inscrits au Répertoire national de la certification profesionnelle (RNCP) et leur niveau certifié par l'État ». L'ICART précise qu'elle est un « établissement reconnu par le ministère de la Culture » avec des certifications RNCP niveaux 6 et 7 (équivalent à bac +3 et bac +5). Difficile cependant pour un étudiant de saisir les nuances entre bachelor et licence, mastères, MBA et master, formations certifiées ou reconnues par tel ou tel ministère...
Machines à cash
Autre frein, le coût de ces écoles privées : le prix d'une année scolaire dans l'un de ces établissements privés oscille entre 5 et 10 000 euros. Pour Julie, « ces écoles sont des machines à cash. Les étudiants viennent presque tous de catégories socio-profesionnelles aisées, ils ont généralement déjà un petit réseau que ces écoles leur permettent d'amplifier ». Étudiant pendant les confinements successifs, Arthur pensait qu'une partie des frais de scolarité serait remboursée, car, s'ils peuvent se justifier par les voyages et projets proposés par l'école, il les a trouvés démesurés alors qu'il a passé presque toute son année en distanciel, derrière un écran d'ordinateur.
D'où l'insistance, de la part des différentes directions, sur le haut degré d'insertion professionnelle et, plus récemment, la possibilité d'y réaliser des alternances qui financent les coûts de scolarité. « C'est l'entreprise dans laquelle je réalise mon alternance qui prend en charge les frais très élevés de scolarité », confirme Mona. Même discours pour Arthur, qui explique qu'il n'aurait jamais pu étudier à l'IESA sans être en alternance. « L'apprentissage nous permet d'accueillir des publics qui n'auraient pas eu les moyens d'étudier chez nous, admet Boris Grebille. Cela permet une diversité des profils, et c'est formidable. » Selon Nicolas Laugero-Lasserre, « les étudiants de l'ICART viennent généralement d'un milieu social dans lequel on les a amenés au musée, voir des concerts, etc. Nous recherchons des élèves motivés, avec déjà un terreau. » Même chose à l'EAC, dont la directrice affirme : « Pour se destiner aux métiers passion auxquels on forme les étudiants, il est nécessaire qu'ils aient déjà une appétence pour le secteur. Nous leur apportons ensuite les ressources pour s'insérer dans le marché du travail ».
Quelle insertion ?
Avec Fluctuart, la Nuit de l'ICART, le Prix ICART X Artistik Rezo et d'autres projets ou partenariats avec des professionnels du secteur, Nicolas Laugero-Lasserre souhaite donner la possibilité aux étudiants des différents campus de se constituer un réseau dès les premières années. En fonction des écoles et de leur année de passage, les anciens étudiants sont cependant très mitigés au sujet de l'insertion professionnelle. L'une d'eux raconte qu'elle est restée plus d'un an au chômage après son bachelor, une autre – aujourd'hui galeriste – estime que ça ne l'a pas aidée à créer son entreprise. June affirme ne pas avoir trouvé ses stages grâce à l'EAC et a investi beaucoup d'argent dans ses études pour des rémunérations très basses dans le marché de l'art. À l'inverse, Julie explique que ses alternances lui ont permis de se créer rapidement un carnet d'adresses, tout comme Arthur, qui profite aujourd'hui de ses nombreuses rencontres avec des professionnels du secteur. « Il y a une chargée de professionnalisation pour chaque filière à l'IESA, qui aide les étudiants à se positionner sur le marché du travail une fois la formation terminée », détaille-t-il. Chaque école affiche sur son site des taux d'insertion impressionnants, par ailleurs nécessaires pour obtenir les certifications RNCP.