Le public les devine lors des sessions plénières, des commémorations et autres discours des chefs des Etats membres. Elles apparaissent à l’écran, sur les images de télévision tournées dans les locaux du Parlement européen, à Bruxelles comme à Strasbourg. Personne pourtant n’y prête attention. Les quelques 387 peintures et sculptures de la collection du Parlement passent inaperçues, même aux yeux des élus, qui les voient pourtant tous les jours. Les acteurs du marché de l’art en ignorent totalement l’existence. Et le site Internet, qui ne reproduit que partiellement les images, ne les met pas vraiment en valeur. Pourtant, à l’origine de cette discrète collection, il y a une personnalité de poids, Simone Veil, ancienne présidente du Parlement européen. Un an après sa nomination, elle pose en 1980 les bases de cet ensemble, aujourd’hui réparti entre Strasbourg, Bruxelles et le secrétariat général, au Luxembourg. En 40 ans, moyennant un budget total de 1,9 million d’euros, 387 œuvres ont été achetées, par étapes, au gré des nouvelles adhésions. L’Europe des Neuf – comprenant les six membres fondateurs plus l’Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark – a dressé les premières listes d’achat. Les nouveaux entrants ont complété l’ensemble. L’adhésion, en 2004, de dix pays d’Europe centrale et orientale a donné lieu à un nouveau plan d’acquisition. Puis ce fut l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, et, enfin, de la Croatie. A chaque fois, les sommes dépensées sont proportionnelles au nombre de députés.
En pratique, un bureau d’information installé dans chaque pays membre s’appuyant sur des experts en art locaux, dont les noms ne sont pas donnés, propose différentes œuvres. Puis, une commission artistique – composée d’un questeur et de deux vice-présidents, qui ne sont pas désignés pour une quelconque compétence en la matière – fait un tri et le soumet au président du Parlement qui tranche alors.
Bonne pioche
Dans l’inventaire, il y a à boire et à manger et la sélection interroge. La France n’a guère brillé dans ses choix. L’Hexagone a oublié tous les artistes qui ont marqué les années 1980 pour se porter sur des peintres décoratifs que l’histoire n’a pas retenus, comme Jean-Michel Folon. A peine plus audacieuse, l’Italie a quand même acheté pour la somme modique de 4 492 euros une pièce de Carol Rama et une autre de Jannis Kounellis. De tous les pays, l’Allemagne et plus encore la Grande-Bretagne ont fait preuve du plus grand flair. Sous l’impulsion britannique, le Parlement a ainsi acheté des pièces d’Angus Fairhurst, complice de la première heure de Damien Hirst, qui se suicida en 2008, Paul Graham, devenu une star de la photographie, et Helen Chadwick, qui, avant d’être fauchée par une crise cardiaque en 1996, se distingua par une œuvre singulière, à forte teneur autobiographique. L’institution européenne fit même une bonne affaire, en 1992, en achetant pour 3 600 euros une peinture de l’Ecossais Peter Doig, alors un parfait inconnu qui peignait déjà la nature. Une bonne pioche : l’œuvre est évaluée aujourd’hui à 3 millions d’euros. Malgré la sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe, ces œuvres sont restées dans l’inventaire du Parlement européen. Et, à notre connaissance, elles n’ont pas vocation à être vendues.