Le Quotidien de l'Art

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5 solo shows incontournables

5 solo shows incontournables
Natsuko Uchino.
Sorry We are closed.
© Corutesy de l'artiste et Sorry We are closed.

Jamais la foire n'avait accueilli autant d'expositions monographiques ! Des peintures rêveuses d'Anthony Cudahy aux toiles minimalistes de Thomas Arnolds, en voici cinq à ne pas manquer.

Natsuko Uchino, la mémoire de la terre

Sorry We're closed

Argile, sable, végétal, métal... Les matières s’imbriquent avec finesse, épousant chacune leur capacité de dureté ou de fragilité. Ces alliances miment la lente agglomération des liants propices à l’édification de ciment ou de torchis, elles disent ce que les matières ont à exprimer dans leur processus de fermentation ou de maturation. La tendreté de l’argile emprisonne le métal, lui-même caressé par le sable. La sculpture-tableau de Natsuko Uchino fait parler la terre dans ses essences naturelles. Bien au-delà du souci formel, les matrices minimalistes de l’artiste retrouvent l’archéologie intime des gestes des artisans, qu’elle a pu éprouver lors d’un projet agricole en pleine nature sur le flanc des monts Catskill aux États-Unis. Une expérience marquante de retour à la terre qui oriente définitivement sa pratique de la céramique vers une dimension écologique. L’artiste, qui vit aujourd’hui à Saint-Quentin-la-Poterie et enseigne à l’École Supérieure d’Art et Design - TALM du Mans, développe un univers où l’art sert une vision anthropologique.

Les énigmes minimales de Thomas Arnolds

Nosbaum Reding

Présentées pour la première fois dans une exposition à la galerie de Bruxelles en septembre 2021, les toiles de la nouvelles série Run surprennent par leur jeu de confrontation entre les couleurs et les effets d’abstraction et de figuration. L’artiste basé à Cologne (né en 1975 à Geilenkirchen, Allemagne) prend le parti d’une composition géométrique binaire à l’intérieur de l’espace du tableau, découpé en grands champs d’aplats colorés. Il les anime ensuite de motifs évanescents qui se fondent dans la couleur à la manière d’un estompage. Ici transparaît une toile d’araignée, là une arête de poisson, traces squelettiques de vie dont la présence semble absurde au sein d’un environnement intentionnellement dénué d’émotion. L'artiste explore le registre du vocabulaire, mais aussi du rapport d’échelle entre les éléments, la forme géométrique abstraite venant soutenir, à la manière d’un contrepoint, le motif figuré. Ce langage prend une dimension plus expressive dans le tableau phare du solo show Run (light) 2, où le minimalisme d’une bande bleue dialogue avec le dessin vaporeux d’une chaise. Côte à côte, les deux formes antagonistes cohabitent, suscitant un étonnant effet de jaillissement de la chaise en dehors du tableau.

Anthony Cudahy, une intimité habitée

Semiose

Le peintre américain Anthony Cudahy (né en 1989, Floride) a été exposé pour la première fois en France par la galerie Semiose en 2020. Depuis, son chromatisme hypnotique, constitué de dissonances et de subtilités, a marqué les esprits. Ses scènes de genre intimistes oscillant entre expressionisme et fauvisme développent une narration fragmentée, à la manière de photographies éparses, habitées par ses proches et ses visions intérieures. Des instants du quotidien qui servent un regard vers l’histoire de l’art et l’iconographie gay. Sa touche attentive aux contrastes de couleurs fait hésiter entre angoisse et félicité, une tension qui façonne ses figures silencieuses, rayonnant d’une aura rêveuse, presque irréelle. L’onirisme bascule irrésistiblement vers la dramaturgie, alors que la peinture elle-même est mise en abîme, comme dans la toile montrant une de ses amies peintres – Jenna Gribbon – pointer du doigt un livre contenant une peinture de Friedrich. Les images de Cudahy s’ancrent avec spiritualité et conviction dans la grande histoire des formes. Leur nostalgie latente est aussi celle des maîtres du passé avec lesquels il semble chercher un dialogue secret.

Stefan Vogel, poète du chaos

Jahn et Jahn

Son dernier solo show au Kunstsammlungen de Chemnitz en Allemagne s’appelait Relax, it’s only paranoïa, invitant ironiquement le regardeur à ne pas s’angoisser face au désordre bien naturel du monde, la décadence n’étant finalement que la logique autodestructrice de nos sociétés. L’artiste (né en 1981 à Fürth) investissait à l'occasion l’ensemble du bâtiment, s’appropriant chaque salle comme un terrain de jeu pour y déployer son inquiétante poétique, faite de rebus, de fragments de matières diverses, agglomérées, superposées. Processus qu’il avait déjà entrepris dans une exposition sur la notion d’habitat à l'Overbeck Society et à St. Petri zu Lübeck, en utilisant des tissus, brindilles, silicone, colle, boîtes de plexiglas et matériaux industriels pouvant être pris chacun à part comme une œuvre en soi, mais étant le plus souvent mis en scène afin de créer des fresques éphémères exprimant les brisures et l’inachèvement de nos pensées. L’artiste joue des différences de matières : l’adhésif, collant, se confronte à la légèreté aérienne des tissus. Surgit l’entropie de nos sociétés et de nos psychismes, au bord du chaos.

Paul McCarthy, l’exorciste

Xavier Hufkens

Superstar de l’art contemporain, connu pour ses sculptures gigantesques provoquant la polémique, le turbulent Paul McCarthy est aussi un dessinateur prolifique. Dans ses œuvres graphiques rehaussées de collages, on retrouve son univers pétri de culture populaire, de produits de consommation iconiques et de la fameuse figure de Mickey. La galerie présente deux séries récentes : A&E (pour Adolf Hitler et Eva Braun) est composée de dessins façon « cartoon » dont la dimension pornographique explore l’inconscient traumatique du nazisme et son insoutenable violence, puisant son inspiration dans The Night Porter, film de 1974 de Liliana Cavani. Tandis qu’à coup de grands gribouillages expressionnistes, MICKEY DIOK MICK DICK et HOW MUCH WORTH sont des œuvres qui renouent avec la dimension performative du dessin, l’artiste se roulant littéralement sur son œuvre, enlacé à l'actrice allemande Lilith Stangenberg. Les lignes rageuses découlent des corps, venant griffer des fragments de journaux et de publicité. Sans complexes, l’immanquable cynisme de l’artiste a le don de mêler le grotesque à la critique sociale.

Thomas Arnolds, "Run (light) 2", 2021, huile sur toile, 270 x 380 cm.
Nosbaum Reding.
Thomas Arnolds, "Run (light) 2", 2021, huile sur toile, 270 x 380 cm.
Nosbaum Reding.
© Photo Mareike Tocha/Courtesy des artiste et Nosbaum Reding.
Anthony Cudahy, "The painter (Jenna Gribbon pointing to Friedrich)", 2022,
huile sur toile, 183 × 183 cm.
Semiose.
Anthony Cudahy, "The painter (Jenna Gribbon pointing to Friedrich)", 2022,
huile sur toile, 183 × 183 cm.
Semiose.
© Photo A. Mole/Courtesy Semiose, Paris.
"Stefan Vogel Relax, it's only paranoia", 2021–2022, vue d'exposition au Kunstsammlungen de Chemnitz.
"Stefan Vogel Relax, it's only paranoia", 2021–2022, vue d'exposition au Kunstsammlungen de Chemnitz.
© Photo Philipp Lohöfener/Kunstsammlungen Chemnitz/Adagp, Paris 2022.
Paul McCarthy, "MICKEY DIOK MICK DICK", 2020, fusain, pastel, plastique, ruban adhésif et pages de magazine collées sur papier, 128,3 x 91,4 cm.
Xavier Hufkens.
Paul McCarthy, "MICKEY DIOK MICK DICK", 2020, fusain, pastel, plastique, ruban adhésif et pages de magazine collées sur papier, 128,3 x 91,4 cm.
Xavier Hufkens.
© Photo Fredrik Nilsen/Courtesy de l'artist et Xavier Hufkens.

Article issu de l'édition Hors-série du 30 avril 2022