Le Quotidien de l'Art

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Cecilia Alemani et ses 213 artistes

Cecilia Alemani et ses 213 artistes
Cecilia Alemani.
© Photo Andrea Avezzu/Courtesy La Biennale di Venezia.

La sélection pléthorique de la commissaire replace les femmes au centre de l'histoire et élabore une nouvelle idée de la symbiose entre l'être humain et son environnement.

Cette sélection compte 213 artistes, avec une remarquable majorité de « femmes ou artistes au genre non-conformé qui défient la figure présumée universelle de l’homme blanc guidé par la raison ». Provenant de 58 pays, avec 80 productions conçues spécifiquement, 180 de ces artistes participent pour la première fois à l’exposition internationale, avec 5 pays nouveaux venus (Cameroun, Namibie, Népal, Oman, Ouganda). Puisant l’imaginaire de sa réflexion dans l’extraordinaire portée historique des femmes surréalistes, souvent reléguées à leur rôle de compagnes d’artistes masculins, Alemani emprunte le titre de son programme, « le Lait des rêves » au livre de Leonora Carrington (1917–2011) réunissant ses dessins de créatures hybrides et mutantes qui recouvraient les murs de sa maison-refuge au Mexique. Son univers reflète les trois axes thématiques de la Biennale : les métamorphoses du corps et les définitions de l’humain ; la relation entre les individus et les technologies ; la connexion entre les corps et la terre.

Porosité et hybridité

Convoquant la philosophe du post-humain Rosi Braidotti, la curatrice analyse comment les artistes sont en train d’imaginer une condition qui défie la vision moderniste occidentale de l’être humain centre de l’univers et mesure de toutes choses, pour envisager des mondes poreux et hybrides, avec de nouvelles alliances symbiotiques entre espèces ou avec le non-humain. « À quoi ressembleraient les formes de vie si les humains n’existaient pas ou plus ? », a-t-elle demandé. Alemani a conçu cinq « capsules » (élaborées par le cabinet de design FormaFantasma) qui introduisent une lecture de l’exposition principale par filiations trans-historiques, cherchant à réinterroger le canon historique de l’art à travers une méthode féministe qui privilégie la symbiose, les réseaux de solidarité et sororité aux systèmes d’héritage et d'autorité. La première capsule s'organise autour des corps désobéissants et des alliances nature/culture et animé/inanimé, traçant des filiations avec des figures peu connues du futurisme (dont Valentine de Saint-Point et son Manifeste de la femme futuriste), de la Harlem Renaissance (dont Meta Vaux Warrick Fuller), de la Négritude, du Surréalisme ou du Bauhaus. Le deuxième sur les Techonolies de l’Enchantement retrace des formes d’interaction entre les corps et la technologie, renvoyant à l’exposition historique « Cybernetic Serendipity » (1968).

Une autre histoire des expositions

L’une des surprises de l’édition d'Alemani est d'ailleurs de revenir sur le champ négligé de l’histoire des expositions, évoquant « Matérialisation du Langage » (1978), sur les liens entre art et poésie expérimentale, pour évoquer sa troisième capsule sur les formes du langage utilisant le corps, des femmes médiums aux mystiques, consacrant une salle entière à la peintre portugaise Paula Rego ou aux abstractions de la figure humaine de Simone Fattal. Cette édition réunit aussi 29 artistes ayant un lien avec la France, dont seulement 6 sont vivants (Simone Fattal, Marguerite Humeau, Saodat Ismailova, Kapwani Kiwanga, Vera Molnár et un seul homme, Ali Cherri, né au Liban). Les autres capsules démontrent l’envie de Cecilia Alemani de renouveler le champ des références, convoquant l’auteur de science-fiction Ursula K. Le Guin et son histoire des technologies remontant non pas aux outils de chasse mais aux contenants, ou l'approche transgenre des auteurs Jack Halberstam et Donna Haraway, le jardin anthropique de Precious Okoyomon ou les prothèses d'Anna Coleman Ladd pour les soldats défigurés de la Première Guerre mondiale. Cette édition de la Biennale cherchera ainsi à envisager la fin de l’anthropocentrisme et le dépassement de systèmes supposés universels, pour proposer des formes locales de connaissance et des politiques pour des identités en mutation, s’inspirant de mythologies personnelles, de pratiques jugées amateurs et autochtones. 

Les Gaggiandre de l'Arsenal de Venise.
Les Gaggiandre de l'Arsenal de Venise.
© Photo Andrea Avezzu/Courtesy La Biennale di Venezia.
Pavillon central, Biennale de Venise.
Pavillon central, Biennale de Venise.
© Photo Andrea Avezzu/Courtesy La Biennale di Venezia.
Pavillon central, Biennale de Venise.
Pavillon central, Biennale de Venise.
© Photo Francesco Galli/Courtesy La Biennale di Venezia.
Leonora Carrington, "Portrait of Madame Dupin", 1947.
Leonora Carrington, "Portrait of Madame Dupin", 1947.
© Succession de Leonora Carrington/Courtesy Gallery Wendi Norris, San Francisco/Adagp, Paris 2022.
Paula Rego, "Sleeper", 1994.
Paula Rego, "Sleeper", 1994.
Photo Nick Willing/Paula Rego/Courtesy de l'artiste.

Article issu de l'édition Hors-série du 16 avril 2022