À la fin de la présentation, le 16 février dernier, les youyous entonnés par les femmes de sa famille franco-algérienne, assises au premier rang, étaient portés par la fierté d’un combat artistique et politique qui a créé, enfin, une place pour d’autres voix dans le contexte d’une représentation officielle française. Dans l’explosif contexte politique actuel, et pendant l’année qui fêtera les soixante ans de l’indépendance de l’Algérie, Zineb Sedira pose des questions qui sont toujours d’actualité : qui parle à la place de qui ? À quel moment va-t-on ouvrir le récit de l’histoire aux acteurs mêmes de leur émancipation ? Quel est l’héritage toujours présent de la colonisation et quels autres imaginaires ont été proposés par les luttes décoloniales ?
Alger, carrefour des révolutionnaires
Son choix pour le pavillon français, intitulé « Les rêves n’ont pas de titre » (curateurs : Yasmina Reggad, Sam Bardaouil et Till Fellrath) a choisi de poursuivre la voie initiée lors de son exposition au Jeu de Paume en 2019, où elle mettait en scène son salon à Londres, ville où elle réside, espace de rencontres et d’affinités, célébrant la culture révolutionnaire, musicale et cinématographique de l’Alger post-indépendance. Elle a décidé à nouveau de tourner son regard vers la période artistiquement effervescente où l’Algérie commençait à écrire sa propre histoire post-coloniale. Connue comme la « Mecque des révolutionnaires » de 1962 à 1974, Alger a accueilli tous les combats d’autodétermination du Sud Global jusqu’aux Black Panthers (relatées dans l’ouvrage de Elaine Mokhtefi, Alger, capitale de la révolution), et le cinéma y a joué un rôle de premier plan. Son exposition réunira ainsi une polyphonie de voix transnationales, collectives plutôt qu’égocentrées, portées par le cinéma militant de cette période, que Zineb Sedira a exhumé dans les archives cinématographiques algériennes, françaises et italiennes. Agissant en archéologue dévouée, elle a réussi à trouver le film mythique longtemps disparu Les Mains libres réalisé par l’Italien Ennio Lorenzini et présenté au Festival de Cannes en 1964 (en cours de restauration pour une présentation dans le Pavillon français) – il s’agissait de la première commande de l’État algérien indépendant qui donnait à voir l’autoportrait d’un pays en transformation.
Parfums d'archives
En s’intéressant à cette période, Zineb Sedira renverse le paternalisme européen vis-à-vis du Sud Global (autrefois appelé le « tiers monde »), car ici c’est l’Algérie qui a apporté son soutien solidaire à de nombreux cinéastes européens (de Costa-Gavras à Ettore Scola) et aux combats mondiaux d’autodétermination. Rappelant au passage les échanges internationaux méconnus entre des artistes, écrivains et cinéastes qui ont dessiné une cartographie panafricaine, et construit un dialogue avec les pays du bloc de l’Est ou les militants communistes italiens pour la formation d’un cinéma africain émergent. Pour accompagner l’exposition, plutôt qu’un catalogue, seront publiés trois journaux, inspirés des revues militantes des années 1960, dont le premier sur Alger et « les formes du désir » convoque un kaléidoscope de références – de la cinéaste féministe algérienne Assia Djebar au cinéaste Farouk Beloufa (père de l'artiste Neïl Beloufa). Cette passion archiviste bloquerait-elle la capacité à saisir les enjeux contemporains ? Pour Zineb Sedira, qui entrecroisera le panorama de ces luttes à ses propres images et documents familiaux, cette histoire est aussi notre présent, celui qui refuse d’assumer les injustices racistes. Elle invitera d’ailleurs le jeune artiste Rayane Mcirdi à collaborer à son exposition : il a mené un travail avec des jeunes et des « chibanis » de Gennevilliers autour du seul film algérien qui a reçu la Palme d’or à Cannes, réalisé par Mohammed Lakhdar-Hamina en 1975. Son Pavillon français sera ainsi le lieu d’un combat contemporain pour rétablir une mémoire inachevée.