Qu’est-ce qu’un catalogue d’exposition ? Et à quoi sert-il ? Est-il une trace, le pendant d’un événement physique ou doit-il être son prolongement ? « Difficilement définissable », selon la chercheuse Colette Leinman, le catalogue d’exposition « est un objet protéiforme constitué de trois parties : un texte de présentation ou préface, une liste des œuvres ou catalogue, des reproductions », poursuit-elle dans un article pour la revue Marge en 2011. À la fin des années 1980, le conservateur et historien de l’art Pierre Rosenberg l’affirmait, le catalogue est un objet indispensable car il permet de faire le lien avec les œuvres présentées au sein d’une exposition : grâce aux notices, il fait un point scientifique sur celles-ci et donne des clés pour comprendre les raisons qui ont poussé les commissaires de l’événement à les réunir sur les mêmes cimaises. Pourtant, le peu de littérature scientifique sur le sujet semble « paradoxal » à la maîtresse de conférence en histoire de l'art Marie Gispert. « C’est un outil dont les historiens de l’art se servent tout le temps mais que nous n’avons pas considéré comme un terrain de recherche en lui-même. » Pour l’enseignante-chercheuse, qui consacre un séminaire de Master 2 au sujet, sa définition aussi reste floue : « C’est un objet interdisciplinaire qui convoque l’histoire de l’art, l’histoire de l’édition mais aussi l’histoire des médiations. »
Rendre durable l’éphémère
Comme elle l’expliquait dans un article détaillé publié en 2016 dans Le Monde du Livre, Marine Mayon désigne le catalogue d’exposition comme étant « a priori une publication annexe de l’institution, un document sur l’exposition » attaché à l’événement. Sa fonction serait donc de laisser « une trace durable d’une manifestation éphémère », une archive qui survit à l’exposition. Pourtant, elle observe que depuis une cinquantaine d’années, le catalogue d’exposition a mué « sous la forme d’un volume toujours plus gros, dont la maquette indique qu’il est à la fois une somme scientifique et un beau livre ». Le catalogue d’exposition deviendrait-il un livre d’art, voire un livre d’artiste ? À ce sujet, Muriel Rausch, cheffe du service des éditions de Paris Musées, indique que « les catalogues d’exposition ont peu à peu pris la place des livres d’art dans les librairies. Les monographies non liées à des expositions sont désormais devenues rares. Le catalogue a donc évolué : il reste la mémoire de l’exposition et de sa visite, mais il est aussi de plus en plus considéré comme une publication à part entière – un livre ».
Cette évolution fait débat. En 2013, le rédacteur en chef de la Tribune de l’Art Didier Rykner s’agaçait : « Un catalogue d’exposition n’est pas un livre comme les autres », assénait-il dans son article « Le Musée d’Orsay va-t-il tuer les catalogues d’exposition ? » avant d’indiquer qu’il a « un rôle précis, celui de traduire par le verbe, pas uniquement par l’image, ce qu’était l’exposition. (...) Il est tout ce qui reste après la fin de celle-ci ».
Questions de timing
Mais que dit d’une exposition un catalogue conçu bien en amont de celle-ci ? Un catalogue sans témoignages photographiques des salles, de l’agencement des œuvres les unes par rapport aux autres ? Dans la plupart des institutions culturelles, le catalogue d’une exposition est disponible dès le jour de son inauguration. « Ça dépend, nuance l’éditrice Manuella Vaney, fondatrice de Manuella Éditions. Certains artistes avec lesquels j’ai été amenée à travailler souhaitent qu’il y ait des vues de l’exposition dans le catalogue : il faut donc attendre que l’exposition soit montée et cela ne nous permet pas toujours de sortir le livre le jour du vernissage. »
Pour certaines personnes, ce timing serait frustrant car il empêcherait de documenter ce qui se joue pendant l’exposition, notamment visuellement tandis que pour d’autres, la publication en amont permet de bénéficier de son contenu lors de la visite de celle-ci. Par ailleurs, faire un catalogue d’exposition prend du temps : Manuella Vaney et son équipe produisent six à sept catalogues par an (parfois en co-édition avec des institutions). L'éditrice confirme « qu’il faudrait entre six mois et un an pour bien faire un catalogue, mais parfois il nous faut être bien plus rapides ».
Plusieurs entrées
Concrètement, à quoi pense-t-on en réalisant un catalogue d’exposition ? À ce sujet, Muriel Rausch donne quelques pistes. « Nous apportons une attention particulière à l’élaboration des sommaires des catalogues, qui doivent pouvoir s’adresser au public ayant visité l’exposition, comme à celui qui découvrira le sujet en librairie. Le travail éditorial vise à proposer des textes accessibles, tant dans leur longueur et leur approche, sans sacrifier à leur rigueur scientifique, que dans leur nature : essais, mais aussi textes plus courts de type focus ou encadrés, notices, légendes commentées… » Question contenu, les éditions de Paris Musées font par ailleurs appel, « en plus des spécialistes reconnus des sujets traités, à des auteurs ou autrices venues d’autres horizons (philosophes, musiciens et musiciennes, etc.) pour apporter des regards plus personnels sur certains thèmes » et ainsi toucher un lectorat plus large.
L’enjeu est similaire aux éditions du Centre Pompidou, qui produisent entre 30 et 40 catalogues d’exposition par an. « Nous avons un très haut niveau d’exigence en termes de contenu, explique la directrice Claire de Cointet. Nous souhaitons proposer plusieurs entrées de lecture pour nous adresser à différents types de public : les connaisseurs et ceux qui découvrent. » Le légendage des photographies, l’équilibre entre les textes et les images, le travail avec des graphistes, l’impression… Rien n’est laissé au hasard. Mais un tel niveau d’exigence a un coût. « La production d’un catalogue varie en fonction des projets de 20 000 à 120 000 euros », détaille Claire de Cointet. Ce coût dépend également des droits de reproduction des images, parfois très élevés ou de la récente pénurie de papier. Une pénurie qui a incité Paris Musées à augmenter les tirages initiaux de ses catalogues pour éviter toute rupture car, dit Muriel Rausch, « les délais d'approvisionnement papier allongent les délais de réimpression ». Manifestement, ce n'est pas la rémunération des auteurs et autrices des textes et articles scientifiques qui coûte le plus cher : si elles varient d'une institution à l'autre, elles sont généralement très basses. Une grande institution culturelle parisienne propose ainsi 35 euros pour 1000 signes alors même que l'Aica France recommande de payer entre 1500 et 3000 euros HT pour 5 feuillets commandés pour un catalogue d'exposition. Une chercheuse, découvrant les rémunérations proposées par un musée national avait d'ailleurs rétorqué : « À ce prix, offrez-moi plutôt un bouquet de fleurs ».
Hors quelques évolutions de contenu et changements de formats, le type de catalogues d'exposition édités par les institutions culturelles reste assez classique, loin de ce que peut proposer Manuella Vaney dont la production est « assez protéiforme ». « Je suis attentive à ce que peut proposer un artiste, un graphiste, dit-elle. Je fonctionne vraiment au projet et j'aime le travail d'équipe. Le catalogue d'exposition c'est un espace de présentation autre que celui de l'exposition elle-même. Il est dans son prolongement et peut s'affranchir des limites physiques de l'exposition. Il peut voyager, a son autonomie ». Travailler avec des artistes vivants change, évidemment, un peu la donne. L'artiste Jean-Christophe Norman s'est beaucoup investi dans la confection du catalogue de son exposition au Frac PACA « Brouhaha », note Manuella Vaney : « On est ici à mi-chemin entre le catalogue d'exposition et le livre d'artiste. Jean-Christophe Norman y a mis sa vision et, selon moi, le message passe d'autant mieux quand il est sensible. »