Une exposition rétrospective sert aussi à cela : faire redécouvrir les pans d'une œuvre. C'est le cas pour Spoerri à Nice : l'un des derniers survivants des Nouveaux Réalistes (né en 1930) est tellement cantonné à ses fameux reliefs de repas qu'on en a oublié le reste. Pourtant, en ancien danseur étoile (au ballet de Berne), il a toujours été adepte des pas de côté. Sa création, faite de zigzags, a certes trouvé dans l'Eat Art un riche terrain de recherche (il a tenu un restaurant et a organisé de nombreux banquets, dont un remake a été fait à l'inauguration sur le thème des riches et des pauvres). Mais elle s'est surtout nourrie, dans une veine plus inspirée par Dada que par Restany, de l'anecdote, de la farce, de la mystification, pervertissant les hiérarchies dans un remue-ménage rafraîchissant – surtout par les temps qui courent, où l'onction du marché semble être devenue la norme intouchable. De son Nu blessé très potache (une académique huile sur toile rehaussée d'un sparadrap) à ses « pièges à mots » faits d'assemblages d'objets, il se révèle avant tout un collectionneur forcené (jusqu'à aujourd'hui : sa collection de cannes est considérée comme l'une des plus belles du monde). Sans hésiter à forcer la main car, comme dans les souvenirs de Romain Gary, le vrai est ce que l'on est prêt à croire. Ainsi de ce banal coupe-ongles : probablement ramassé dans une brocante de quartier, mais joliment mis en scène et doté d'un pedigree, il devient celui de son compatriote Brancusi. Une relique ne vaut que par la foi de ses fidèles...
« Le théâtre des objets de Daniel Spoerri » au MAMAC (Nice) jusqu'au 27 mars.
mamac-nice.org