Le Quotidien de l'Art

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Présidentielle : où est la culture ?

Présidentielle : où est la culture ?
De gauche à droite, et de haut en bas : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Christiane Taubira.
De gauche à droite, et de haut en bas : © Henri Garat/Mairie de Paris ; © Fred Marvaux/European Union 2016 ; © Zouhair Nakara ; © AG Gymnasium Melle ; © Arno Mikkor/Estonian Presidency ; © Marie-Lan Nguyen ; © Illian Derex ; © Philippe Grangeaud ; © Greensefa.

La sécurité, le pouvoir d’achat et l’immigration monopolisent les programmes et discours des candidats à l’élection présidentielle. La culture en revanche est aux abonnés absents. Tour d'horizon.

Il est des symboles tenaces, des mots qu’on ne digère pas. Quand, en mars 2020, au pic de la pandémie, la culture est jugée non essentielle, le fossé se creuse entre Emmanuel Macron, qui tarde aujourd'hui à annoncer sa candidature, et le monde de l’art. Le milieu a gardé un souvenir amer de son hallucinante intervention télévisée de mai 2020, quand en bras de chemise, le président enjoint les artistes à « enfourcher le tigre », pendant que Franck Riester, alors ministre de la Culture, prend des notes comme un bon petit élève. D’aucuns y ont vu du mépris. Pourtant l’exécutif a dépensé sans compter. Les intermittents ont bénéficié de deux années blanches, les artistes du fonds de solidarité et les musées sous perfusion ont échappé à la faillite qui guette leurs homologues américains. Au total, 14 milliards ont été mobilisés pour la culture depuis le début de la crise. Sans oublier l’enveloppe de 30 millions d’euros que se partageront 264 projets sous le libellé des « Mondes nouveaux ». Pourtant rien n’y fait : le stop and go imposé à tous les lieux de culture a laissé des traces.

Lorsqu’Emmanuel Macron accède au pouvoir en 2017, le monde de la culture se plaît à rêver. Imaginez, l’ancien assistant du philosophe Paul Ricœur, un féru de théâtre, capable de citer René Char ou André Gide et qui ne rate aucune exposition du Centre Pompidou. Cerise sur le gâteau, il nomme comme ministre de la Culture une femme du sérail, l’éditrice Françoise Nyssen. Les espoirs – immenses – sont vite douchés. Françoise Nyssen saute au bout de 17 mois. Franck Riester ne fait pas davantage long feu. Sans l’en informer, Macron nomme le général Jean-Louis Georgelin comme représentant spécial chargé de la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame. En cinq ans, il aura achevé ce que François Hollande avait commencé : affaiblir le ministère de la Culture, résumé désormais à un simple guichet.

Macron : un axe peu lisible

Roselyne Bachelot distribue l’argent. Mais sur les dossiers qui comptent, comme les nominations, elle est inaudible. Quand elle défend une reconduction de Jean-Luc Martinez au Louvre, Emmanuel Macron choisit de nommer Laurence des Cars. Sur ce terrain très régalien, comme pour tous les enjeux stratégiques, le président jupitérien décide seul. Il a bousculé le statu quo en nommant le très disruptif Chris Dercon au Grand Palais. Il a affirmé son attachement à la diversité en choisissant Pap Ndiaye au Palais de la Porte Dorée. Emmanuel Macron prend son temps, quitte à faire tarder une nomination, comme ce fut le cas à la Villa Médicis et au Palais de Tokyo. 

S’il fallait trouver un axe à une politique culturelle qui manque de lisibilité, ce serait sans doute le souhait de démocratisation culturelle. L’exécutif a ainsi lancé, depuis 2017, 130 Micro-Folies à destination des publics « éloignés de la culture » et depuis l’automne 2021 un Pass Culture offrant 300 euros aux jeunes de 18 ans. La préservation du patrimoine n’est pas en reste. Avec une cagnotte de 131 millions d’euros abondée principalement par la Française des Jeux, la mission patrimoine confiée à l’animateur Stéphane Bern a financé la restauration de 627 monuments. Emmanuel Macron est surtout le premier président à avoir pris à bras le corps le sujet des restitutions en Afrique, en commandant un rapport explosif sur le sujet à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr. Après la restitution du sabre d’El-Hadj Oumar Tall au Sénégal en 2019, celle de la couronne de dais de la reine Ranavalona III à Madagascar en 2020, et les 26 pièces du trésor d’Abomey au Bénin en novembre, le retour d’un tambour parleur Ebrié, réclamé par la Côte d’Ivoire, a été annoncé. À l'actif également du quinquennat Macron, l'adoption définitive d'une loi pour la restitution d'œuvres aux ayants droit des victimes de persécutions antisémites – même si c'est Roselyne Bachelot qui fut à la manœuvre et qu'il reste beaucoup à faire, avec une mission de recherche (Zivie) encore trop faiblement dotée.

À droite, des relations compliquées avec la culture

Qu’en est-il des concurrents au titre ? À droite, la candidate LR Valérie Pécresse, qui dirige aujourd’hui la région Île-de-France, n’est pas très aimée du monde de la culture. Il faut dire que son arrivée à la tête de la plus riche région de l’Hexagone s’est soldée par la fermeture du Festival d’Île-de-France, de l’Association régionale d’information et d’actions musicales (Ariam) et de l’Observatoire du livre et de l’écrit en Île-de-France (MOTif). Valérie Pécresse a beau répéter qu’« il n’y a pas de grande nation sans une culture affirmée », pour l’heure le flou domine. Elle promet de mettre l’accent sur l’éducation artistique et culturelle, en jumelant chaque école avec un établissement culturel de son territoire. La chiraquienne prévoit aussi de renforcer les lois sur le mécénat pour la sauvegarde du patrimoine et imposer à chaque grand établissement culturel parisien de consacrer une part significative de son budget à la diffusion de ses créations partout en France. En matière de diplomatie culturelle, la candidate LR indique que le pays « gardera un réseau diplomatique et culturel étendu », mais elle privilégiera des pays partageant avec la France « une histoire ou des valeurs, ou qui présentent un intérêt stratégique clairement identifié ». Valérie Pécresse prévoit également d’instaurer un « taux réduit de TVA à 5,5 % sur tous les biens culturels ». Dans une tribune publiée en janvier par le Figaro, la candidate LR appelle enfin à faire entrer Molière au Panthéon.

À l’extrême-droite, le désamour avec le milieu culturel est partagé. Dans le programme ou les déclarations d'Éric Zemmour, difficile de trouver une ligne de proposition concrète concernant la culture. Pas même au sujet de la protection du patrimoine, comme on aurait pu s'y attendre de la part du candidat multi-condamné (pour provocation à la discrimination raciale et à la haine religieuse envers les musulmans), qui évoque à tort et à travers la théorie complotiste du « grand remplacement » et défend une tradition culturelle française qui relève du mythe, comme le décortique un collectif d'historiens dans la récente série d'essais Zemmour contre l'histoire (Gallimard). Même constat dans les pages du programme de la candidate du Rassemblement National Marine Le Pen : sur les 22 mesures jusqu’à présent proposées dans sa campagne, aucune ne mentionne le secteur culturel qui ne semble définitivement pas être au cœur de ses préoccupations. Déjà en 2017, les questions culturelles étaient peu débattues par la candidate qui proposait alors « l’inscription dans la Constitution de la défense et de la promotion du patrimoine historique et culturel français », un renforcement de la loi Toubon pour protéger l’usage de la langue française dans les institutions et la mise en place d’une « culture de proximité ». Côté financement, Marine Le Pen proposait une augmentation de 25 % des financements consacrés à la préservation et à l’entretien du patrimoine français. 

PS et Verts en ordre dispersé

À gauche, les propositions concrètes sont moins rares, mais le temps semble loin où la culture était l'un de ses fers de lance… Alors que l'Allemagne engage une politique volontariste avec une ministre écologiste elle-même issue du milieu culturel (lire notre article p. 17), le mot culture n'apparaît qu'en 24e position dans les « 70 propositions pour la France » d'Anne Hidalgo, candidate socialiste à la peine dans les sondages. Si la maire de Paris peut revendiquer de vraies réussites dans la capitale, elles ne sont que la suite des initiatives de son prédécesseur Bertrand Delanoë, comme la gratuité des musées municipaux, Nuit blanche ou le 104. Parmi les propositions d'Anne Hidalgo pour l'élection présidentielle, on relève celle d'accueillir des artistes en résidence dans les scènes nationales tout au long de l'année, en réponse notamment à la crise du Covid, et dans le domaine des arts visuels le développement des artothèques, permettant le prêt d'œuvres à des particuliers mais aussi à « des lieux publics comme les hôpitaux, les universités, les commissariats, les administrations ». Elle évoque également « la juste rémunération des auteurs, artistes, interprètes, écrivains, producteurs et diffuseurs » sans plus de précision quant aux modalités. Autre axe : l'éducation artistique et culturelle et « l'intervention des artistes, techniciens, artisans qui participent à la fabrication des œuvres dans les classes, établissements scolaires et universitaires des territoires environnants (qui) proposeront des masterclasses, des échanges, des ateliers en lien avec le programme qui élargissent l’horizon, jusqu’à des perspectives professionnelles ». Enfin un « Erasmus culturel » devrait permettre « une plus grande circulation des jeunes artistes et étudiants en art en Europe ». De son côté Christiane Taubira, qui peine à rassembler son camp et à trouver 500 signatures, a plaidé au micro de France Inter pour que la culture « irrigue notre conscience de notre identité, notre conscience de notre singularité, de ce que nous sommes en train de faire ». Une envolée lyrique dont elle est coutumière, mais pas vraiment un programme…

La priorité chez les Verts : « activer un plan de relance du secteur culturel », explique Dimitri Boutleux, adjoint à la culture à la mairie de Bordeaux et en charge des questions culturelles dans l’équipe de campagne de Yannick Jadot. Assez développées au regard de celles d’autres compétiteurs, les propositions culturelles du candidat Europe Écologie les Verts apparaissent à la 65e page de son programme. La première de toutes est ce plan de relance : « un milliard d’euros supplémentaire par an affecté au budget du ministère de la Culture », une sorte de « New Deal pour la culture », explique Dimitri Boutleux. Yannick Jadot fait également part de sa volonté d’augmenter la part du budget dédiée à la création de 5 % pour atteindre les 25 %. Le programme du candidat prévoit par ailleurs la « mise en place d’un revenu garanti pour les artistes-auteurs dont les métiers ne relèvent pas de l’intermittence du spectacle ». L’ensemble de ces mesures – qui comprennent également une transition écologique du secteur – devrait en partie être financé par une taxe GAFAM et une taxe Google. Parmi les autres propositions, le souci de mettre en place « un nouveau volet de décentralisation culturelle en donnant de nouveaux moyens aux territoires », un « soutien au développement de lieux culturels indépendants comme les associations ou tiers-lieux d’intérêt public » mais aussi la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaire, rejetée par le Sénat en 2015.

À gauche, culture pour tous et soutien aux artistes

Dans l'équipe de campagne du candidat Jean-Luc Mélenchon, un groupe thématique travaille à des propositions pour le secteur depuis plus de deux ans. « Nous avons mené plusieurs séries d’auditions auprès des travailleurs et travailleuses de la culture pour être au plus près de leurs besoins », explique Martin Mendiharat, animateur du groupe avec Victoire Diethelm et le haut fonctionnaire Charles Plantade. Mesure clé du programme : porter le budget consacré à l’art, à la culture et à la création à 1 % du PIB par an, soit une augmentation du budget du ministère de la Culture d’un tiers. Mais aussi la volonté de restaurer un service public de la culture « ambitieux pour les acteurs culturels et le public », l'extension de la gratuité dans tous les musées, la garantie d'une tarification abordable dans les institutions publiques et un encadrement des tarifs abusifs des lieux privés. Le candidat pour « l’union populaire » propose également de renforcer les liens avec l’école. Pour ce faire, il souhaite « abroger le Pass Culture pour investir ces 200 millions d’euros dans l’éducation et l’école » et ainsi « sortir d’une logique purement consommatrice de la culture ». Par ailleurs, le programme culturel de Jean-Luc Mélenchon souhaite « abolir tous les privilèges fiscaux liés au mécénat culturel » et « trouver avec les travailleurs et travailleuses de l’art un régime social qui leur soit adapté ». Le patrimoine est quant à lui « un vrai sujet progressiste » pour le candidat qui souhaite « s’appuyer sur les services publics du secteur pour le préserver pour tous et toutes ». 

Remontant dans les sondages, le candidat du Parti communiste Fabien Roussel hésite entre propositions générales, telles que l'organisation d'« états-généraux de la culture » et mesures plus concrètes : 1 % du PIB serait attribué à « l’intervention publique en matière culturelle » (comme Jean-Luc Mélenchon), le régime de l'intermittence serait renforcé et les artistes-auteurs bénéficieraient d'« un authentique statut, plus protecteur et garantissant effectivement leurs droits sociaux et leurs rémunérations ». Pour les jeunes, un « plan national pour l'éducation artistique », de l'école à l'université serait complété par des « maisons de la jeunesse » : évoquant les MJC aujourd'hui en perte de vitesse, elles seraient conçues comme « des lieux de rencontres avec des acteurs associatifs, sportifs et culturels » et pourvues de « conseils de jeunes » voués à échanger au sujet des politiques locales.

Les collectivités ont des idées

Dans les programmes des candidats Philippe Poutou (NPA), Anasse Kazib (Révolution Permanente), Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière) et Hélène Thouy (Parti Animaliste), il n’est pour l’instant pas fait mention du secteur culturel. Les revendications des collectivités territoriales pourraient peut-être aider certains candidats en manque d’inspiration… Dans un manifeste qui leur a été directement adressé le 27 janvier, la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), réunissant maires et présidents d'agglomérations, fait valoir son attachement à la décentralisation et observe que « le financement des politiques culturelles publiques est assumée à plus des deux tiers par les collectivités territoriales ». Et de proposer un large éventail de 30 « chantiers » pour une action conjointe avec l'État. Parmi eux, le renforcement de la protection du « petit patrimoine », de l'éducation à la culture et des pratiques amateures des jeunes, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et pour la parité femme/homme dans la culture, la promotion des langues régionales et de la diversité de la société française dans les productions culturelles, une fiscalité sur les GAFAM au bénéfice des artistes, l'impératif écologique de l'action culturelle ou encore le transfert d'une part significative des crédits pour abonder les initiatives propres des collectivités. Pour plusieurs intervenants de la FNCC, l'État ne peut plus se cantonner à délivrer un label aux structures territoriales et donner sa part, sans suite : « aller au plus près des collaborations » est le maître mot des souhaits. Un exemple frappant : celui du Pass Culture, principale mesure du quinquennat dans le secteur, n'a pas pris en compte ce qui avait déjà été expérimenté par les villes ou régions sous la forme notamment des chèques culture. Mais un futur président (ou une future présidente) serait-il (ou elle) prêt à renoncer à ses prérogatives en matière de culture, aussi peu considérée soit-elle dans la course à la mandature suprême ?

Jean-Luc Mélenchon en meeting à Toulouse en 2017.
Jean-Luc Mélenchon en meeting à Toulouse en 2017.
© MathieuMD/CC BY-SA 4.0.
Emmanuel Macron et Franck Riester lors d'une visioconférence avec des artistes le 6 mai 2020.
Emmanuel Macron et Franck Riester lors d'une visioconférence avec des artistes le 6 mai 2020.
© Ludovic MARIN/ POOL/AFP.
Emmanuel Macron et Roselyne Bachelot en visite au musée du Quai Branly le 27 octobre
2021 à l'occasion de la cérémonie de restitution
de 26 oeuvres des trésors
royaux d’Abomey à la
République du Bénin.
Emmanuel Macron et Roselyne Bachelot en visite au musée du Quai Branly le 27 octobre
2021 à l'occasion de la cérémonie de restitution
de 26 oeuvres des trésors
royaux d’Abomey à la
République du Bénin.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac/Photo Thibaut Chapotot.
Le chantier de la cathédrale de Notre-Dame de Paris durant la visite du president de la République Emmanuel Macron le 15 avril 2021.
Le chantier de la cathédrale de Notre-Dame de Paris durant la visite du president de la République Emmanuel Macron le 15 avril 2021.
© Lemouton/POOL/SIPA.

Article issu de l'édition N°2330