« Propagande ! » Aucune des expositions « Arts de l’Islam, un passé pour un présent » organisées dans 18 villes françaises (lire le QDA du 29 novembre 2021) n'avait commencé que déjà l’extrême-droite fulminait sur Twitter et ailleurs. Pas de quoi déstabiliser Yannick Lintz, directrice du département des arts de l’islam au Louvre et commissaire générale de l’opération nationale : « Je montre des réalités objectives qui obligent à réagir et à regarder autrement. » Pour autant, difficile de nier le caractère éminemment politique de l’événement placé sous l’égide du Premier ministre qui souhaita cette « mise en valeur des arts de l’islam » comme « réponse directe à tous les discours de haine et les tentations anxiogènes ». La conservatrice se dit très à l'aise avec ce qui n’est pas à proprement parler une commande puisqu’elle a travaillé à un tel projet à son initiative, suite aux attentats de 2015 et en lien avec la Fondation de l’Islam de France, organisme laïc créé par la présidence Hollande. Grâce au format enfin trouvé et au budget alloué par le ministère de la Culture, ces 18 expositions maillent le territoire, avec l’assentiment de maires de tous bords. « Cette opération culturelle, qui a effectivement une dimension politique, apporte un apaisement dont tout le monde a besoin, la société dans son ensemble, pas que les musulmans », réagit Hanan Ben Rhouma, rédactrice en chef de SaphirNews, quotidien musulman d’actualité.
Une dimension militante
Pour Yannick Lintz, l'opération s’inscrit pleinement dans la mission de son département dont la création en 2003 relevait, rappelle-t-elle, d'une « décision d’emblée politique » de Jacques Chirac. En 2012, François Hollande l'inaugure, revendiquant « un geste politique, au service de l’harmonie, du respect et de la paix ». Olivier Gabet, directeur du musée des Arts décoratifs, se souvient de cette période : « Les conséquences culturelles du 11 septembre sont colossales. Des arts de l’islam au Louvre Abu Dhabi, c’est une même histoire. » Hasard du calendrier, son institution présente jusqu'au 20 février l’exposition « Cartier et les arts de l’Islam. Aux sources de la modernité ». La redécouverte d’une inspiration pour la maison de joaillerie qui renvoie le musée à son propre rôle dans la reconnaissance des « arts musulmans » en France, titre d’une exposition qui y fut présentée en 1903, deux ans avant que le Louvre n’y consacre une salle. Un intérêt grandissant, allant de pair avec l’exaltation d’une France coloniale, « grande puissance musulmane » comme il se disait alors. Bien plus tard, les collections islamiques du musée des Arts décoratifs et du Louvre, réunies depuis, ont bien failli être exposées à l’Institut du monde arabe à son ouverture en 1987. Une fondation privée créée par la France avec les pays de la Ligue arabe, chapeautée par le ministère des Affaires étrangères… Difficile d’échapper à la politique.
Olivier Gabet a donné une dimension presque militante à son exposition, déclarant au Figaro : « Nous sommes fiers de mettre le mot islam en tête d’affiche, dans une époque livrée à l’incompréhension. » Plus que les insultes reçues sur internet, il reste troublé que des journalistes aient pu lui demander si cela ne le dérangeait pas de titrer ainsi son exposition. « Les arts de l’islam, c’est une catégorie de l’histoire de l’art ! », s’agace-t-il. Malgré tout, l’usage du terme reste sensible. Pour les expositions du Louvre, Yannick Lintz reconnaît qu’il y a eu discussion, Matignon se disant peu favorable à un titre commençant par le mot islam, soi-disant source potentielle de dérives…
Un renouveau d'intérêt
À la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg aussi, le titre de l’exposition « L’Orient inattendu, du Rhin à l’Indus » (qui s'est achevée le 16 janvier) traitant des relations de l’Alsace avec « les terres d’islam », a fait débat. « On y a longuement réfléchi », indique Emmanuel Marine, responsable de l'action culturelle et de la communication. Le choix du mot Orient, tout aussi « polémique » selon lui de par sa connotation coloniale, s’est imposé parce qu’il correspondait mieux au sujet traité, mais « le point de vue de l’exposition est de montrer les échanges à travers les siècles et de déconstruire cette altérité radicale que certains voudraient voir promue », ajoute-t-il. Une exposition que l’on doit à Nourane Ben Azzouna, qui enseigne l’histoire des arts de l’islam à l’université de Strasbourg, dans le cadre d’une licence sur les mondes musulmans créée à la demande du gouvernement Valls en réaction, là encore, aux attentats. La question du nom sera autrement plus complexe pour le futur « musée de l’Orient », titre de travail pour un projet ancien qui pourrait voir enfin le jour à la bibliothèque avec des dépôts du Louvre et de musées locaux.
Strasbourg illustre le renouveau d’un intérêt des institutions culturelles pour les arts de l’islam. Un certain climat, mélange de caricature, d’amalgames et de stigmatisation, n’y est sans doute pas étranger. « Depuis 30 ans, on mène un inventaire du patrimoine islamique en France et là, on a plus découvert en 10 mois », s’enthousiasme Yannick Lintz. Plusieurs musées hôtes de l’exposition du Louvre souhaitent mieux valoriser ces objets dans leur parcours permanent, comme à Rouen et Rennes, quand dans sa nouvelle muséographie, le musée national de Cluny entend montrer un Moyen Âge européen moins unilatéralement chrétien, intégrant ses composantes juives et islamiques. « Il n’y avait pas de rupture entre l’Orient et l’Occident, en interaction culturellement », explique Isabelle Bardiès-Fronty, conservatrice générale du patrimoine. Autrement dit par Yannick Lintz : « Vous savez, le choc des civilisations, c’est une formule marketing. » Une porosité entre les mondes jusqu’à notre époque contemporaine, qu'illustrent d’autres expositions récentes comme « Juifs d’Orient. Une histoire plurimillénaire » à l’Institut du monde arabe (jusqu'au 13 mars) ou « Juifs et musulmans de la France coloniale à nos jours », à partir du 5 avril au Musée national de l’histoire de l’immigration.