Christophe Doucet travaille par épuisement : du trait dans ses premiers dessins, de photographies de bornes par la suite, de représentations zoomorphes enfin. Inlassablement, Christophe Doucet produit au cœur de son atelier. En taillant ses propres outils, en reproduisant des sculptures réalisées par d’autres, en faisant voler un à un les éclats de bois avec une hache, c’est comme s’il comprenait la marche du monde. Christophe Doucet perçoit la réalité en la voyant se révéler sous ses doigts.
« Forestier » a été son travail pendant plus de vingt-ans. Chaque jour, il arpentait les bois à la recherche de bornages, voire en créait quand ils venaient à manquer. C’est cette sémiologie bûcheronne qui donna naissance, dix ans après, à une installation majeure : la Sauveté de Garbachet. En référence à un principe médiéval de protection autour des lieux sacrés, l’artiste a fait inscrire au cadastre une zone d’un hectare entourant un cabanon en forêt. Loin de s’arrêter au marquage administratif, il a ensuite mis en place un chantier participatif afin de restaurer la cabane et son puits. L’aura artistique a enfin été amplifiée par l’implantation, aux quatre points cardinaux, de bornes en mortier traditionnel surmontées par une oreille de lièvre. Ici, tout comme lorsqu’il élève un abri pour chêne malade ou place une feuille d’or sur un arbre pluricentenaire menacé d’abattage en Corée, Christophe Doucet permet de préserver des feuillus et la vie qu’ils accueillent. Or, Anna Tsing rappelle que le passage de l’Holocène à l’Anthropocène réside en grande partie dans l’éradication des endroits refuges où le sauvage aurait pu se reconstituer[1]. À l’encontre de la marche capitaliste du monde et des destructions qu’elle implique, Christophe Doucet pose ainsi une stratégie de préservation – voire de…